Un coup de gueule, sérieux

Devant la résistance constatée de nos assos, institutions, jusqu’à nos camarades de gôche et des communs, écolos et autres, à regarder la situation en face et à se mettre enfin à la coopération… et tout ce besoin de contrôle, si près du gouffre!

Il y a deux postures principales :

– la posture « ou », qui confronte, oppose, vise à tuer ce qui n’est pas d’elle, parce que c’est l’autre le responsable, l’autre qui a tort. Compétition. Seul le plus fort doit gagner.

– la posture « et », qui considère que nous sommes tous dans le même pétrin, que le monde est un commun, et que c’est à nous de nous organiser pour que tout s’y passe bien. Coopération. Tout le monde devrait être gagnant.

Et toi, tu vas dire, « oui, et il y a aussi les esclaves, les moutons, ceux qui ne votent pas, qui suivent, qui ne jouent pas le jeu ». Toi, tu es où ?

Ben devine ce que j’en pense : qu’il faut une sacrée dose de liberté, de lâcher-prise, pour ne pas « suivre », et faire « en conscience », ou « en confiance », comme tu veux.

C’est ce que Edouard Glissant a nommé « l’archipélisation », dans laquelle, avant lui, Deleuze et Guattari proposaient de cartographier les initiatives fécondes, celles qui sortent du bois, en pointant les relations qu’elles peuvent lier entre elles, sans attendre la bénédiction de quelque pouvoir central dominant. Et ça se fait sur nos territoires, et ce n’est qu’observable, pas contrôlable, et nous devrions nous en féliciter ! C’est la théorie du rhizome, ça sonne intellectuel, mais il n’y a pas plus « terrain » et naturel que cette chose-là, c’est la base. Après, on cultive, on isole, on catégorise, mais ce n’est plus le jeu !…

Ainsi, dans un monde culturellement entièrement basé sur la compétition, le mérite, le travail, la valeur est à la productivité. Plus tu produis, plus tu mérites. Le communisme, la « gauche du travail », répond au même principe, à peu de chose près, la différence c’est qu’on te fait espérer que l’outil de production, tu vas en être propriétaire. Et tu y crois !

Mais peu importe ce que tu produis, peu importe ce que ça coûte à la collectivité, l’essentiel, c’est qu’il y ait du mouvement, du salaire, des charges, des impôts, et surtout, surtout, de la dette.

Parce que, quoi que tu fasses, tu n’en feras jamais assez, et tu as déjà accumulé une dette que jamais tu ne rembourseras. Une dette morale, envers ton employeur, privé ou public, qui s’est décarcassé pour que tu aies un emploi, un salaire, la société en tant que système, qui te procure ce dont tu n’as pas forcément besoin, mais que tu penses que tout le monde t’envie, et tout ce que tu achètes à crédit, parce qu’après tout, toi aussi, tu y a droit, et par-dessus tout ça, ce que l’état insuffle aux entreprises, aux banques, aux agriculteurs, aux extracteurs de tous poils, pour que le système paraisse viable alors qu’il n’est définitivement pas soutenable, et que tu y sois totalement attaché.

Ça paraît caricatural, mais penses-y.

Après, imagine, on change la valeur

Par exemple, dans de grands sommets type Cop, G20, Davos, on décide d’arrêter la course à la production, à la croissance, donc, et de substituer à la valeur « profit » celle du « bien-vivre pour tous », du « soin ».

Bisounours! … Ah bon?

Si l’on décidait, par exemple, de ne laisser personne, sur toute la surface de la planète, sur le côté de la route, à crever de faim ou de soif avec ses enfants.

Bisounours! … Ah bon?

Si on décidait d’arrêter de créer des guerres pour la régulation des flux de ressources, qui ne profitent qu’à une infime partie du vivant et massacre le reste à toute vitesse ?

Bisounours! Bisounours! Bisounours! Bisounours! … Ah bon?

Oui, bien sûr, tu y penses, mais ce n’est pas ton problème. Soyons pragmatiques.

Protégeons-nous de ce que nous faisons vivre aux autres, de loin, montrez-nous à la télé la vengeance des nations « propres » contre les barbares, ceux que nous avons produit par aveuglement, sans doute, et surtout, serrons bien les fesses pour que tout ça dure, le plus longtemps possible, au moins de notre vivant.

Nos enfants ?

Ah oui, ça ne va pas être simple pour eux, pas de chance , tu les plains.

Mais tu as confiance en l’homme et en sa technologie, il va bien nous trouver un truc qui répare tout.

Imagine, on arrête d’être cons, on écoute les scientifiques, les lanceurs d’alerte, et on fait l’état des lieux. Écouter n’est pas forcément être d’accord. Quoique…

Khmer vert! écolo-terroriste!

On fait l’état des dégâts et on considère les solutions proposées. Elles sont nombreuses.

Que vont-elles changer réellement à notre mode de vie ?

Qu’allons-nous perdre, qu’allons-nous gagner ? Ce ne seraient pas les seules questions qui tiennent la route ?

Alors oui, l’inflation, les prix qui augmentent, la faute à Poutine, ou aux Ukrainiens.

Si ce n’était pas si tragique pour ceux qui meurent, vraisemblablement mal, en ce moment, pour tous les pays du Moyen Orient, de l’Afrique, qui ont été mis à mal pour notre seul confort, on en rirait bien volontiers.

Tant que nous ne nous mettons pas autour d’une table pour évaluer notre situation globale, tant que nous rechignons à nous prendre en main par nous-mêmes, tant que nous laissons s’envenimer une situation qui ne peut aller qu’au pire, considérons que nous sommes tous responsables, et coupables de ce qui va arriver au monde.

Fradin Didier – Archipel Osons les jours heureux

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