L’hirondelle de l’exode urbain fera-t-elle le printemps de la ruralité ?

Dès l’annonce du confinement, des centaines de milliers de personnes, issues des classes sociales plutôt aisées, ont quitté les centres urbains pour se réfugier à la campagne, à la montagne et sur le littoral. Cet exode a révélé, s’il en était besoin, l’extrême vulnérabilité des métropoles : promiscuité, saturation des services de santé, absence d’autonomie alimentaire, fragilité de certaines populations. De là à faire de ce flux temporaire un exode urbain structurel, il y a un pas vite franchi par les agences immobilières nous annonçant l’essor de la demande de logements dans les campagnes, la périphérie des métropoles et certaines villes moyennes dynamiques.

Ce mouvement est-il un simple sursaut passager ou fonde-t-il le nouvel acte d’un autre mode de vie favorisé par le développement du télétravail et le déploiement de la fibre ? Peut-il faire masse et engendrer un basculement vers la revitalisation démographique de nombreux territoires ruraux ? Il est trop tôt pour répondre à ces questions, mais gardons trois choses à l’esprit :

1) un changement de cadre de vie ne fait pas un changement de mode de vie, c’est toute la différence entre campagnes dortoirs et campagnes « vécues » ;

2) il faut se méfier de la mythologie de la « revanche de la campagne », car les territoires ruraux ont souffert de la pandémie (déserts médicaux, chômage subi de plein fouet, agriculteurs peinant à mener à bien leur fonction nourricière) ;

3) si la tendance se confirmait, nos candidats à l’exode n’iraient repeupler que les territoires ruraux attractifs, on voit mal la Creuse et la Lozère se repeupler durablement.

Quelle que soit la nature de cet attrait renouvelé des campagnes, elles resteront, longtemps encore, prisonnières d’une politique d’aménagement du territoire qui date des années 1960 lorsque la DATAR fit le choix de créer des métropoles susceptibles d’équilibrer l’hyper-développement parisien. L’idée était de concentrer la vie économique et la population en exploitant les effets d’agglomération(*) bien connus des économistes. On faisait de quelques métropoles des moteurs de croissance et de rayonnement international et on comptait sur les effets dits de « ruissellement », la richesse créée diffusant progressivement à travers l’armature des villes moyennes et des territoires ruraux.

Sauf que ces effets n’ont pas fonctionné et que l’on a tué la cohésion territoriale, asphyxié de nombreux territoires ruraux, fait disparaître les services publics et les commerces, négligé les transports en commun(**). Toutes les facilités ont été données à l’artificialisation du foncier et les métropoles ont grignoté l’espace rural. Surtout un « échange inégal », bien connu dans les relations économiques internationales(***), a transformé les campagnes périphériques des grosses agglomérations en territoires sous influence et dominés. On a tout simplement transféré les coûts du rayonnement économique mondialisé de quelques métropoles vers les territoires ruraux. La loi MAPTAM de 2014 est venue conforter la position desdites métropoles. Quant aux campagnes situées à l’écart des grandes agglomérations, leur sort n’a pas été meilleur puisqu’elles ont, le plus souvent, versé dans « l’hyper-ruralité », synonyme d’éloignement des services et de désertification démographique.

Une frange croissante de la population, consciente des limites planétaires, aspire néanmoins à une vie plus simple, plus lente, plus riche en liens sociaux, plus proche de la nature. Les territoires ruraux, se réappropriant certains héritages positifs de l’ère paysanne, pourraient offrir une forme de sobriété joyeuse répondant à cette attente. Reste à inventer un modèle social viable, attractif pour tous, spécifique aux campagnes. Une tentative existe aujourd’hui sous la forme de communautés locales autonomes fondées sur une reconsidération fondamentale des besoins, plus consommatrices de ressources locales, de partage et d’entraide que d’énergie et de biens matériels.

Mais en attendant que cette somme d’initiatives locales fasse société, et malgré la lutte des élus locaux pour l’attractivité de leur territoire, il y a fort à parier que l’avenir des territoires ruraux sera une fois de plus dicté par les métropoles. Le risque aujourd’hui est de voir des métropoles, toujours plus hégémoniques, se verdir et devenir plus « intelligentes » (connectées), cantonnant les campagnes dans un rôle devenu classique : servir de lieu intermittent de loisirs, de détente et de respiration à des urbains fatigués, pressurés, maltraités sur leurs lieux de vie et de travail.

C’est toute la question de l’usage des sols qui est en jeu ici et elle réclame une vision de l’aménagement de nos territoires qui, espérons-le, fera l’objet de débats lors des élections présidentielles de 2022. Dans cette perspective, la sphère de la social-écologie a tout intérêt à s’emparer vigoureusement de ce sujet.

Patrick Salez

Coopérateur EELV

Poitou-Charentes

(*) L’économiste poitevin, Olivier Bouba-Olga parle aujourd’hui de la création d’une addiction à la CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence).

(**) Il s’agit d’un « pétro-aménagement », rendant obligatoire l’usage de la voiture.

(***) Un parallélisme peut être établi avec l’échange inégal centre-périphéries conceptualisé il y a 50 ans par l’économiste du développement international Samir Amin. De même que l’Occident a bâti l’essentiel de sa richesse sur l’exploitation des ressources des pays en développement (PED), de même les métropoles ont fondé une partie de leur croissance sur la fourniture par les communes rurales avoisinantes de nourriture, d’aménités, et de tourisme bon marché.

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