Le Virus du MEPRIS

                                      

     « Tout le monde le regardait et personne ne le saluait : Le mépris acre et froid des passants lui pénétrait dans la chair et dans l’âme comme une bise ! » (V. Hugo dans Les Misérables)

Contexte : Dans cette période de crise sanitaire, où les limites du vaccin et de l’approche scientifique interrogent, nous pouvons aussi observer un éclatement moral global et une perte de ce qui nous constitue en tant qu’Être Humain : Une capacité à accepter et à partager des intériorités, des intimités très différentes. Pourquoi ?

Hypothèse : Le virus du  mépris  n’est pas nouveau. Il est sans nul doute ancestral. Mais les circonstances actuelles, la mondialisation, l’explosion des réseaux sociaux, me semblent lui donner une exposition jamais atteinte. Personnellement, je le crois responsable de la plupart des conflits et dysfonctionnements majeurs de notre époque.  

 Définitions du mépris  dans le « Robert » :

  • « Sentiment par lequel on ne tient pas en prix (Littré) on estime indigne d’attention »
  •  « Sentiment par lequel on considère quelqu’un comme inférieur ou indigne d’estime »
  • « Indifférence, manque de considération à l’égard de quelque chose »

 Une histoire sans fin ……… :

Il faudrait sans doute chercher l’origine du mépris dans la longue histoire de l’humanité. La peur et la convoitise me semblent en être des ingrédients moteurs. La puissance du désir sexuel et sa répression par les religions aussi, tout comme l’avènement de la propriété des terres. 

Je crois que le mépris s’installe dans le psychisme quand toute symbolisation/transformation des pulsions de vie et de mort (peur, jalousie, possession sexuelle, violence) est rendue impossible dans l’enfance….Mais ceci est une autre histoire que je laisse à chacun et chacune le soin d’explorer pour lui même et elle même.

    Aujourd’hui, ce qui se joue, par exemple à travers les idées d’Eric Zemmour, me semble emblématique du poids du mépris dans la pensée politique. En effet, quand il assure ne pas rejeter nos compatriotes musulmans, mais qu’il leur demande de s’assimiler en renonçant à la religion islamique, qu’exprime-t-il d’autre qu’un gigantesque mépris ? Le plus terrible des mépris, celui qui consiste à nier l’intériorité, l’intimité de l’autre …. 

   Zemmour n’est pas qu’un épiphénomène. Il résume dans ses discours et sur la plupart des sujets qu’il aborde, tout ce qui a constitué la pensée politique conservatrice et réactionnaire des 19eme et 20eme siècles : Le colonialisme, le racisme, la misogynie et le paternalisme, l’élitisme et la méritocratie républicaine, l’autoritarisme et l’exploitation des plus fragiles, la main mise sur les ressources de la nature et de la biodiversité, le productivisme, le nationalisme aveugle et sourd aux problèmes du Monde et de ses peuples et qui conduit au Fascisme….. La liste pourrait être plus longue de tous les paradigmes conservateurs qui fondent finalement une politique de droite, qui rejoint ainsi les pires dérives du communisme. Ce qui caractérise ces régimes a bien une origine unique : Le mépris de l’être.

   Peut-on d’ailleurs parler d’une pensée politique ?  En effet, si la Politique se veut être une médiation du réel pour aller vers un idéal (Jaurés) nous en sommes loin avec la pensée de droite qui consiste finalement à profiter du réel sans volonté de le transformer, ou avec la pensée communiste Soviétique hier et Chinoise aujourd’hui, qui aménage le réel en niant les personnes.    

    Dans une médiation, il ne peut pas y avoir de mépris, sinon c’est une escroquerie …. Et les lois prises en politique doivent traduire, en principe, la recherche d’un intérêt général, un équilibre. Il ne suffit pas de laisser croire, dans des discours, que l’on a compris les besoins et les attentes des gens.   Ensuite il faut que, sur le terrain, les pratiques suivent. C’est là que se situe la difficulté, car, au delà des problèmes exprimés par les gens, c’est une reconnaissance de ce qu’ils sont qui est attendue. 

  Cette reconnaissance passe évidemment par les salaires et les conditions de travail, mais surtout par la prise en compte de l’expérience des salarié(e)s ou des fonctionnaires, dans des instances reconnues, qui doivent peser dans les décisions et les orientations prises par une entreprise ou une administration. Si cette étape n’existe pas ou ne fonctionne pas régulièrement, alors s’installent le ressenti d’un mépris et le ressentiment qui s’y rattache.

  Il sera alors très difficile de récupérer la situation qui ne peut déboucher que sur des conflits et des affrontements (Gilets jaunes). 

   Pour avoir oublié, pendant leur mandat, le passage indispensable par la reconnaissance de l’expérience des citoyen(ne)s qui fondera une « estime de soi » nécessaire à une réalité ressentie d’appartenance collective, les politiques de tous bords en paient le prix fort ….

Toutefois, les Socialistes me semblent les premiers responsables, car la reconnaissance de la valeur de chacune et chacun pour réussir une œuvre commune est au cœur de leur projet et parce que trop de pratiques institutionnelles et de comportements d’élus y ont été contraires. Pourront-ils renaître de leurs cendres ?  Ce n’est pas certain et ce sera long … 

   Le mépris est il soluble dans l’éducation, dans l’écologie et les religions ?

L’éducation :

La promesse Républicaine d’émancipation du plus grand nombre est une réussite en terme quantitatif, mais un échec en terme qualitatif. En effet, le système éducatif perpétue la reproduction des inégalités sociales et culturelles. Performant pour former une petite minorité « d’Elites » (5% d’une classe d’âge) il a échoué à faire reconnaître toutes les formations à égalité de valeurs, en maintenant une sélection arbitraire à travers des procédures d’orientation qui privent une majorité d’élèves et de familles d’un pouvoir de décision sur leur vie.  Ainsi le ressenti d’un mépris de classe est permanent : Encore aujourd’hui quand un « bon élève », en fin de 3eme, souhaite se diriger vers un CAP, il s’entendra dire que « c’est du gâchis » et subira la pression de ses enseignants pour y renoncer… A l’inverse, mais suivant la même logique de discrimination négative, l’élève « moyen » dont les parents sont « d’origine modeste » se verra interdire l’accès au Lycée Général, en dépit de sa volonté.

De fait, dés le début du système éducatif, les enfants différant de la norme, ceux en échec, ceux affectés d’un handicap, sont oubliés ou soumis à un régime d’individualisation qui les éloigne de leurs pairs et qui ne peut que provoquer des sentiments croisées où le mépris se diffuse : « Je me sens méprisé(e) ….Est ce que je suis méprisable ? Je vais les mépriser aussi ! » Si cet ensemble, (ressenti, questionnement et décision d’action) ne peut pas être parlé, travaillé, symbolisé, dans une approche groupale, il y a très peu de chances pour que l’objectif d’une école inclusive soit atteint.

Le début de la campagne pour la prochaine élection Présidentielle laisse apparaître que les projets pour l’école de la droite sont d’inspiration conservatrice et réactionnaire ; ils accentueront la division et la stigmatisation sociale qui engendreront encore plus la circulation du mépris (Examen d’entrée en 6eme, Classes de niveaux, Établissements pouvant choisir ses enseignants et ses élèves, avec financements conditionnés aux résultats  etc… )

   Si les partis de gauche et les écologistes ne comprennent pas la nécessité d’une union, notamment sur l’avenir du système éducatif, alors la partie sera perdue pour longtemps, car l’école est la matrice d’une société du respect, de la rigueur, de la bienveillance et de la confiance, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui…Elle est la première instance qui permet d’empêcher la structuration des personnalités autour de ressentis de mépris et de ressentiments : Les solutions pédagogiques sont connues, il suffit de les généraliser et d’accorder les moyens de leur application …

L’Écologie :

L’approche écologique porte en elle le respect de la nature et de l’ensemble de la biodiversité, incluant l’Être Humain. Le mépris n’a pas sa place dans le rapport à la nature et à l’ensemble des êtres vivants. Ce sont les notions de finitude, d’impermanence et d’interdépendance qui dominent. La nécessité d’établir des alliances pour préserver les équilibres naturels, est une évidence ( cf. « Manières d’Être vivant » de Baptiste Morizot ) …La lutte pour la survie peut engendrer une certaine violence chez de nombreuses espèces animales, mais toujours un équilibre est maintenu, les excès de prédation n’existent pas et je ne crois pas que le mépris caractérise le comportement animal .

Malheureusement, il n’est pas absent des rapports entre écologistes et cela est une contradiction importante avec le message qu’ils veulent transmettre. Les dernières péripéties d’un éminent personnage se réclamant de l’écologie, accusé d’agressions sexuelles, démontre l’ampleur de la question du mépris très souvent lié à une sexualité prédatrice totalement banalisée ; on ne s’en sortira que par la recherche d’un récit commun entre Hommes et Femmes, autour des paradigmes de résonance, d’alliance et d’interdépendance…. pas en stigmatisant et en méprisant chaque genre sexué.  

Les Religions :

N’étant pas croyant (sauf en la dimension spirituelle de l’homme et de la femme) je ne suis pas légitime pour analyser en profondeur le rapport entre une transcendance et  des passages à l’acte « méprisant » de l’humain. Je pense que si j’étais croyant, je trouverais insupportables les actes de terrorisme au nom d’un Dieu et les milliers d’actes de pédophilie commis par de trop nombreux prêtres au sein de l’Église catholique. Dans tous les cas, le mépris de la vie ou de l’intimité humaine est central.

    Nombreux sont les autres domaines où le mépris caractérise le regard de la société et, souvent, de ses représentants :   La Justice et les Prisons, Le Champ du Handicap, Le Travail, La Santé etc….. Sans développer plus profondément ces domaines, je m’interroge sur  le caractère inéluctable du mépris vis à vis des personnes concernées.

De fait, nous ne pouvons que remarquer que ce sont les rapports à la sexualité et à l’envie de pouvoir, qui alimentent et nourrissent très fréquemment les modes de relations méprisants entre nous. C’est un lien évident qui peut être observé depuis des siècles, sans que jamais il ne soit interrogé et remis en question dans un projet politique – comme une fatalité de la condition humaine.

     Est ce un combat perdu d’avance de croire qu’il est possible, par l’éducation et par une organisation inclusive et expérientielle de la société, de réduire, voire d’éliminer le mépris du registre des sentiments humains ? Échanger nos expériences, multiplier les temps de dialogue collectif, sont des antidotes puissants au virus du mépris. Dans un prochain texte, j’essaierai d’explorer d’autres chemins-paradigmes susceptibles de nous aider à construire un autre avenir possible.

                      Janvier 2022                                    Jeanmarie Quairel

                                                                       Directeur honoraire de CIO

                                                                       Coopérateur EELV

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