La transition alimentaire, cette grande oubliée…

On ne trouve pas trace de la transition alimentaire dans le livre-programme Bien Vivre d’EELV, et les références à cette notion sont rares dans le discours de l’écologie politique. Il s’agit pourtant d’une composante essentielle de la transition écologique. Tentons de la caractériser.

L’alimentation figure, aux côtés du logement et de la santé, parmi les besoins humains fondamentaux. Il existe un droit à l’alimentation, consacré en 1966 par le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, Art.11). Cela introduit deux exigences fondamentales : la sécurité et la souveraineté alimentaires. La sécurité alimentaire est l’un des objectifs de développement durable des Nations Unies (FAO) qui garantissent l’abondance et une répartition équitable des ressources. Elle induit l’exigence d’une sécurité sociale de l’alimentation et d’une lutte contre le gaspillage. Avec la notion de souveraineté (ou d’autonomie) alimentaire, introduite par Via campesina en 1996, ce qui est en jeu est la maîtrise par la population de ses choix alimentaires. Elle est un moyen au service de l’objectif de sécurité alimentaire. L’alimentation est ainsi aux mains des citoyens et non plus seulement dans celles des organisations supranationales et des politiques publiques. Dans cette « ‘démocratie alimentaire », le citoyen-consommateur possède un droit de contrôle sur l’origine et la qualité des produits (transparence, labellisation) ainsi que sur les chaînes d’approvisionnement. Il peut dicter l’évolution des systèmes productifs agricoles, à la façon du bio ces dernières années.

La crise sanitaire a mis en évidence les faiblesses du système alimentaire mondialisé (SAM). Les risques de pénurie alimentaire en Afrique sont venus rappeler que les fondements de l’OMC n’ont pas été conçus pour assurer la sécurité alimentaire dont se réclame la FAO. Plus près de nous sont apparues des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, validant les idées de démondialisation et de relocalisation (cf. ci-après). Cette crise nous a renvoyés aux limites des ressources alimentaires planétaires : un modèle bâti aux deux-tiers sur une alimentation animale à forte déperdition de rendement calorique, incapable de nourrir dix milliards d’habitants en 2050. Cette alimentation en flux mondiaux représente une chaîne de vulnérabilités à effet cumulatif : surconsommation de pétrole, dérèglement climatique, dégradation de la biodiversité et des sols, raréfaction de l’eau, atteintes à la santé, mouvements spéculatifs, émeutes sociales. Tous les ingrédients d’un possible effondrement sont ainsi réunis. Ce SAM, à dominante occidentale, est responsable du dépassement de cinq des neuf limites planétaires au sens de Rockström (avec le dérèglement climatique, les cycles respectifs de l’eau, de l’azote et du phosphore et le changement d’affectation des sols). En plus de faire circuler une nourriture à forte empreinte écologique, le SAM, d’essence foncièrement libérale, se concentre au sein d’une poignée de multinationales aux pouvoirs tentaculaires qui pèsent sur les prix en sacrifiant la qualité et organisent le « déménagement » de nombreux territoires ruraux.

De tels enjeux imposent l’émergence d’alternatives au SAM et justifient la transition alimentaire engagée depuis la crise des prix alimentaires de 2007-2008. Celle-ci se fonde sur quatre piliers :

1) La transformation progressive des régimes alimentaires en une alimentation moins carnée, moins riche en graisses, faisant une large place aux céréales, légumineuses, légumes et fruits (voire ultérieurement aux insectes).

2) La démondialisation. Il ne s’agit pas de rechercher une autosuffisance alimentaire totale : celle-ci supposerait une dimension régionale telle qu’elle créerait les conditions d’un échange inégal caractéristique de la mondialisation. Mais plutôt de systèmes alimentaires régionalisés, suffisamment diversifiés pour rompre avec le dogme de la spécialisation régionale qui entretient la dépendance. Des systèmes fondés sur des échanges limités et régulés entre marchés alimentaires, assurant un degré relatif d’autosuffisance. L’échelle européenne représente un bon exemple de ces systèmes régionalisés.

3) La relocalisation, assurant un ancrage de l’alimentation. Au-delà des dispositifs de circuits courts et des filières de proximité, il s’agit de repenser la souveraineté alimentaire aux diverses échelles territoriales, en créant des systèmes alimentaires territorialisés (SAT). La force de l’alimentation est qu’elle peut devenir un puissant levier de développement équilibré des territoires et ces SAT s’inscrivent aussi bien dans de nouvelles formes de ruralité qu’en périphérie des villes dont elles font progresser le taux d’autonomie alimentaire. La meilleure illustration de cette évolution est la percée en France des Projets alimentaires territoriaux introduits en 2014 par la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAF).

4) La transformation des modèles agricoles en faveur d’une généralisation des pratiques agroécologiques. Ces pratiques offrent le triple avantage d’une reterritorialisation de l’agriculture, d’un respect du fonctionnement naturel des agro-systèmes et d’une bonne qualité des aliments produits.

Assurer la transition alimentaire, c’est articuler ces quatre piliers pour qu’ils répondent de façon systémique à l’ensemble des enjeux définis ci-avant.

Patrick Salez

Coopérateur EELV

Poitou-Charentes

Une réflexion au sujet de “La transition alimentaire, cette grande oubliée…

  1. bonjour,
    merci pour cette contribution.
    J’y ajouterai la complémentarité entre biodiversité et agriculture. La complémentarité entre les espèces est un agent essentiel de résilience. Les systèmes écologiques complexes des cultures agricoles peuvent y contribuer, ou au contraires les dénaturer. les aliments qui en sont issus peuvent de même contribuer à notre bonne santé si ils sont variés et complets, ou au contraire nous fragiliser si ils sont trop simplifiés.

    Il me semble que la transition démographique bénéficierai également d’une analyse plus poussée, et qu’elle est encore trop peu comprise.

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