De « la masse populaire » vers « la base citoyenne »

Développement de soi et projet collectif

Comment créer les conditions d’une envie de rapport collectif au monde et au vivant, tout en favorisant et valorisant le développement de la personne ?      

Une dérive mortifère pour les humains et pour l’écologie :

« Tout commence par la pensée : Quand la pensée est fausse, l’affliction s’ensuit comme la roue de la charrette suit le pas du bœuf » (Bouddha)

Depuis le début des années 60, le développement sans limites  du système capitaliste, s’appuyant, chez nous, sur un système de formation profondément inégalitaire et une organisation du travail basée sur la rentabilité et la défiance, a provoqué un repli progressif vers l’individualisme, au détriment du développement de la personne, en même temps que du collectif.

 Une approche individualiste et toxique de notre relation à nous même, aux autres et à l’environnement, a généré les conditions d’une course aveugle et sourde aux ressentis humains.

  Je fais l’hypothèse que cette course insensée  est une projection de notre propre vide intérieur, hystérisée par les nouvelles technologies de la communication, et renforcée par un imaginaire de solitude et de compétition individuelle.

L’intériorité, clef de l’ouverture à la communication interindividuelle et au respect de la vie.

Dans son livre « La drachme perdue » Michel Fromaget écrit, parlant des humains : « Leur souffrance et leur trouble s’expriment de différentes manières. La plus courante est cette apathie, cet ennui, ce sentiment de vide existentiel, qui oblitère la vie…..cette angoisse existentielle qui paralyse les uns et précipite les autres vers la névrose, la déviance, la drogue ou le suicide ». Il rend le dualisme « Corps/Esprit » responsable de cet état et nous encourage à considérer et à vivre « une image anthropologique primordiale infiniment plus juste, plus cohérente et belle : La trilogie Corps/Âme/Esprit »

La plupart de nos maladies et de nos dysfonctionnements sociétaux, ne seraient ils pas la conséquence du non respect de quelques règles de vie fondamentales ? : Attention,  Interdépendance, Interaction, Empathie, Impermanence, Expérimentation, Pensée réflexive, Intériorité. 

L’intériorité, c’est le discours que je me tiens à moi même, en permanence, pour réguler mon rapport au monde, aux autres à la biodiversité. De sa qualité, de ses caractéristiques, dépendront mes actes, vis à vis de moi même et vis à vis des autres. Elle conditionnera mes actes de consommateur  et d’acteur, dans tous les registres de la vie et caractérisera ma « santé » au sens large.

Cette intériorité est une construction, étroitement dépendante de nos conditions d’existence et de nos toutes premières relations au monde et aux autres. 

Un système éducatif et économique, contraire à la pratique de l’intériorité :

Le dialogue intérieur ne peut véritablement se construire qu’à partir de l’expérience vécue, de l’observation, du questionnement et de l’imaginaire  ˗  autant de dimensions très peu utilisées dans notre système éducatif.      

Ce point est essentiel, car ce sont nos intentions qui dirigent nos actes et parce qu’elles se construisent à partir de notre capacité à exercer nos pensées intérieures, à les écouter, puis à les évaluer par l’observation de leurs conséquences.

En privilégiant l’individu, solitaire, ou anonyme dans un collectif, on a dénié la possibilité du « développement de la personne » (Rogers) comme source de sagesse collective.

Dans son dernier livre « L’individu ingouvernable », Roland Gori écrit : «  L’individu est ingouvernable lorsqu’il cherche seul une finalité à ses actes et à son existence. La liberté de l’individu requiert la présence d’autrui »

et encore, s’appuyant sur l’œuvre d’Anna Harent : «  Si le sens de la politique est la liberté, celle-ci ne se révèle que dans et par le monde commun construit avec les autres » .

Ne plus parler de « masse populaire », mais de « base citoyenne » :

L’approche de nombreux intellectuels, consistant à parler de « masse populaire », me semble datée et régressive. Hanna Arendt a raison d’écrire : «  La principale caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité, ou le retard mental, mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux ». Cependant, le vocable « homme de masse » n’est plus adapté à notre monde, si tant est qu’il le fut un jour. Il porte en lui un mépris de classe, inconscient ou non, qui installe une distance avec les élites et fige les rapports sociaux.

Quelles alternatives ?

Considérer l’ensemble de nos concitoyens, comme notre « base citoyenne commune »,  implique un changement de regard et une autre prise en compte des différences et des inégalités.

C’est cette logique qui est à l’œuvre dans toutes les pédagogies actives et coopératives, qui irrigue le fonctionnement de l’économie sociale et solidaire et qui devrait présider à notre rapport à la folie, à la prison ou au handicap.

Se réaliser, en tant qu’individu, en s’inscrivant dans un collectif et en recherchant l’intérêt général, est le défi de plusieurs décennies à venir : la rigueur bienveillante et la solidarité coopérative expérientielle en seront les paradigmes majeurs.

C’est à ce prix qu’un changement sera possible…. En espérant que les forces contraires et réactionnaires n’arrivent pas à perpétuer, dans l’esprit de celles et ceux qu’ils continuent de considérer comme « les masses populaires », ou « le Peuple », un imaginaire d’avenir désespérément voué à la défiance, à l’exclusion et au mépris de classe, avec la violence comme seul horizon.

Changer radicalement le fonctionnement de nos systèmes :

Comment ? En s’appuyant sur une conviction simple à comprendre, mais plus difficile à réaliser : celle résumée dans cette pensée de Roland Gori : « C’est la parole partagée dans la pluralité des êtres et des cultures, qui permet la création d’un monde commun au sein duquel naît la politique ».

Se donner le temps de l’échange et du partage, d’idées et d’expériences variées, est fondamental : rien ne sera possible sans cette étape .  Dans chaque territoire (Commune ou Communauté de communes) il faut donc faire vivre des « maisons de l’expérience citoyenne » et des « Conseils Citoyens », régulés et évalués, pour construire le chemin de l’expérience citoyenne…….. afin d’irriguer, en lien avec les élus, les orientations du fonctionnement commun.

Si ce modèle est appliqué au fonctionnement de l’ensemble de nos systèmes, alors, oui, un autre monde est possible. S’il tarde trop, nous devons nous préparer à des temps très sombres…….

   Mai 2017                                            Jeanmarie Quairel

                                                         Directeur honoraire de CIO

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