Coronavirus (3) : Homo parisianus versus Homo atlanticus?

La chaleur monte sur les trottoirs, les rares îlots de fraîcheur n’y suffiront pas, l’herbe est déjà rase aux Buttes-Chaumont comme dans le parc Montsouris. Il est temps pour Bovis Parisianus d’entamer, avec trois mois d’avance, sa transhumance estivale. D’autant que la peste bovine se transmet rapidement le long des parcours à trop forte charge en bétail. Les troupeaux convergent à la gare Montparnasse et l’exode s’organise dans le fracas de sabots : direction les campagnes angevines et les pâturages normands, bretons ou charentais ! C’est sur cette bordure océanique que la concurrence pour les verts pâturages sera la plus vive : Bovis Parisianus aura à affronter Bovis Atlanticus, farouchement déterminé à défendre sa pitance et à repousser l’allochtone porteur d’épidémie. Arrêtons-là l’analogie, la peste bovine ayant disparu en 2011.

Le coronavirus sévissait de plus en plus fortement dans la capitale et la rumeur se répandit d’un prochain confinement total. Paris prenait ses habitants dans sa souricière, les piégeant dans leurs espaces habitables restreints. Lorsqu’il en eut la possibilité, Homo parisianus partit donc au plus vite se réfugier en « province » dans sa résidence secondaire, celle de ses parents, celle d’amis. Porteur du virus, concurrent pour la nourriture, l’espace, les médecins et les lits d’hôpital, il n’y fut pas le bienvenu. Stigmatisé pour son comportement dangereux, ses déplacements en bande serrée dans les rues et les magasins, ses longues flâneries sur les plages.

Les épidémies ont de tout temps trouvé leur bouc émissaire. A Paris le bouc du coronavirus fut chinois, sur les littoraux atlantiques il est Parisien. La rhétorique de l’étranger, du « barbare » franchissant les frontières, porteur d’incivilité, de maladie et d’insécurité, fonctionne à merveille. Sur les îles, où la nocivité ressentie (*) est plus forte, les habitants exigent le contrôle des bateaux d’accès ou la fermeture des ponts. « Parisiens, rentrez chez vous ! » lit-on parfois sur les réseaux sociaux. Permettez-moi deux questions : 1) Les comportements irresponsables, oublieux du plus simple altruisme, sont-ils l’apanage des parisiens ? 2) Si vous viviez dans un appartement parisien, face à la menace d’un confinement à durée illimitée, et que vous soit offerte une possibilité d’accueil sur le littoral, hésiteriez-vous l’ombre d’un instant à vous exiler ?

N’est-il pas étrange ce réflexe qui va à l’encontre de celui qui nous sauvera collectivement de ce fléau ? Car le salut ne viendra pas d’un repli sur de petites patries locales ou des écosystèmes prétendument résilients. Ce qui doit primer au contraire, c’est le sentiment de faire partie intime de la communauté mondiale, le réveil de la coopération européenne, la nécessité de « faire nation ». Un empire peut s’en sortir (voyez la Chine), une nation démocratique peut s’en sortir (quoique plus lentement), une tribu certainement pas quand tout y dépend de l’extérieur. Ce n’est pas en rejouant l’éternel épisode de la revanche des villages que l’on sauvera sa peau mais en pratiquant la solidarité :

  • Solidarité entre les territoires ; contribuer par exemple à la diminution (certes fort relative) de la densité de peuplement parisien, c’est y réduire le nombre de « contacts » journaliers de chacun et donc le taux de transmission de la maladie.
  • Solidarité de proximité entre les personnes, en particulier intergénérationnelle. Mettons en application cette forme de solidarité inscrite dans la plupart des programmes de campagne des municipales : faire les courses alimentaires des personnes âgées les plus vulnérables, acheter leurs médicaments, sortir leur chien, leur téléphoner régulièrement.

Heureusement, à l’heure où j’écris ces lignes, la tension est retombée dans les communes littorales et insulaires précocement « envahies ». La menace se faisant plus prégnante, les parisiens sont rentrés dans le rang. Ils se confinent et respectent les consignes sanitaires. Les voilà devenus non pas vertueux mais tout simplement… normaux. Et après tout, le vaccin qui nous sauvera de cette pandémie nous arrivera peut-être… de Paris.

Allez, namasté (voilà un salut autorisé qui de surcroît me permet de boucler la boucle bovine) !

Patrick Salez

Coopérateur EELV

Poitou-Charentes

 

(*) Il y a une nocivité ressentie comme il y a, en météo, une température ressentie qui remplace la température réelle.

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