Comment réconcilier l’entreprise avec le monde vivant ?

 Dans son ouvrage, Emmanuel Delannoy nous propose quelques pistes.

Editeur : Wildproject. Publié en 2016, 192 pages, 12 euros.

Tourner le dos à une économie subventionnée par la nature

Au point de départ de la réflexion d’Emmanuel Delannoy se situe la recherche des causes de la crise écologique. La cause principale de celle-ci réside, selon l’auteur, dans la « désynchronisation de la sphère économique et de la biosphère (le monde vivant) ». En effet, nous avons dilapidé en deux siècles les matières premières et les énergies fossiles que la nature a mis des millions d’années à accumuler. Nous vivons donc dans un monde où notre économie est une économie « subventionnée » par la nature. Sur la base de ce diagnostic, la sortie de la crise passera nécessairement par une resynchronisation des flux des deux sphères. Pour cela : ne pas utiliser en une année un flux de ressources supérieur à ce que la nature est en état de produire, sans puiser dans ses stocks. Rappelons que, selon le Global Footprint Network, l’humanité a consommé le 2 août 2017 l’ensemble des ressources que la planète peut renouveler en un an, soit six jours plus tôt qu’en 2016.

Une troisième voie ?

Partant de ce constat, E.D. observe l’existence deux positions opposées entre ceux qui :

  • croient dans les progrès de la technologie et dans les vertus de l’organisation des échanges par le marché ;
  • prônent la décroissance.

Tout en reconnaissant que, de toute façon, il faudra en passer par là, par la décroissance, E.D. propose en quelque sorte une troisième voie, celle qui consisterait à créer une nouvelle organisation économique et sociale au sein de laquelle l’entreprise deviendrait un acteur à part entière. Cette une nouvelle organisation économique reposerait  sur quatre piliers.

  • l’économie circulaire
  • l’écologie industrielle et territoriale (fondée sur la coopération entre entreprises, les déchets des uns devenant les ressources des autres, avec une incitation à la relocalisation en fonction des complémentarités et des synergies, le tout nécessitant une intense circulation de l’information pour réduire les pertes d’énergie).
  • l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (d’où l’importance de la diversité et de la circulation de l’information)
  • le biomimétisme

Nous retrouverons ces aspects plus loin. Avant cela, la question essentielle à laquelle il s’agit de répondre est : comment resynchroniser les flux reliant la biosphère et la sphère économique ?

  • en ayant recours, bien sûr, aux énergies renouvelables :
  • et surtout en s’attaquant à l’inversion des raretés.

L’inversion des raretés

En effet, la révolution industrielle du XIXème siècle a reposé sur la recherche de l’augmentation la productivité du travail (la quantité de richesse produite par heure de travail). Cela a été possible par une intense utilisation du « capital naturel », des ressources naturelles (énergie et matières premières minérales) abondantes à l’époque.

Or, il n’est plus possible aujourd’hui de poursuivre selon ce schéma, car les matières premières et l’énergie sont devenues rares. A l’inverse, le « capital immatériel » (les connaissances théoriques et empiriques, les compétences…) est devenu abondant. Il faut donc produire de manière à économiser les matières premières et l’énergie, augmenter leur productivité. En d’autres termes, il s’agit de « découpler création de valeur et consommation de ressources naturelles ». Cela est réalisable, grâce, entre autres, à l’économie de la fonctionnalité, où l’entreprise ne vend plus des biens (par exemple une machine à laver) mais des services (des lavages). Dans ce contexte, l’entreprises a intérêt à faire durer les biens d’équipement (et non plus programmer leur obsolescence).

Le rôle des connaissances

Aujourd’hui nous disposons d’un « capital immatériel » (connaissances accumulées, savoirs théoriques, empiriques, informations, compétences) abondant.

Selon la deuxième loi de la thermodynamique, toute activité conduit à l’entropie du système dans lequel elle s’inscrit. L’entropie se manifeste par l’irréversibilité de la dégradation de l’énergie, de son passage d’un « état concentré à fort potentiel » à un « état dégradé et diffus ». Il en est de même pour les ressources minières. La thermodynamique nous apprend cependant que, si on ajoute de l’information dans un système, on en diminue (mais seulement localement) l’entropie.

C’est ce que font les végétaux : ils utilisent l’information contenue dans leur ADN pour transformer l’énergie diffuse du soleil. Ce sont de véritables MacGyver. C’est ainsi qu’une plante met en place une chimie complexe qui permet le transfert de l’énergie des photons vers des molécules en solution aqueuse : c’est le miracle de la photosynthèse. Et cette chimie du vivant est frugale et efficiente.

Or, les végétaux constituent le socle de la chaîne alimentaire. Les autres êtres vivants se comportent en consommateurs, et cela à chaque maillon de la chaîne. Et, au fur et à mesure que l’on remonte la chaîne alimentaire, la gestion des matières premières et de l’énergie devient de plus en plus inefficace. À noter cependant que la nature obéit tout de même à une logique circulaire : la nature ne produit pas de déchets.

En revanche, tout au sommet de la chaîne, l’on trouve la production industrielle, laquelle obéit à une logique linéaire et dispersive. D’où ses déchets.

Conclusion : c’est le monde vivant qu’il s’agit d’imiter, par biomimétisme. Cela signifie qu’il faut sortir de l’illusion que l’on peut maîtriser la nature (illusion qui remonte à Descartes, mais en réalité au néolithique). Il faut au contraire l’accompagner.

Pourquoi « la permaéconomie » ? De quoi s’agit-il ?

Ce que E.D. préconise est de s’inspirer du vivant et en particulier de la permaculture.

  • La permaculture est une agriculture dont l’objectif est de préserver les sols.
  • La permaéconomie est, par analogie, une économie où le but serait de préserver la biosphère.

La permaculture vise à conserver la richesse des sols, la diversité biologique, ainsi que la fonctionnalité écologique des sols. Par analogie, la permaéconomie aurait pour mission d’entretenir la richesse, la diversité biologique et la fonctionnalité écologique de la biosphère. Or, nous avons, nous dit E.D., autour de nous, ce qu’il nous faut pour réussir la transition, afin de rendre l’économie compatible avec le monde vivant, précisément en s’inspirant des processus d’adaptation et d’innovation du vivant, autrement dit, en procédant par « exaptation ».

La bonne nouvelle est que tout cela a déjà commencé… C’est l’objet de la première partie du livre (qui en contient trois), intitulée « La nouvelle révolution industrielle a commencé ! »

Note personnelle : le livre est très clair, malgré la complexité de certains sujets abordés. L’ouvrage est bien écrit, bien structuré, concret (le propos est illustré de nombreux exemples). Il se lit facilement, même si l’on prend vite conscience que l’on n’a pas nécessairement tout saisi en raison de la vision transdisciplinaire, donc riche, développée par l’auteur (avec des références à la biologie, à la systémique, à l’histoire…).

Emmanuel Delannoy sera à Nice, en octobre, pour un café de l’économie qu’il animera à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, et pour un séminaire organisé par les Coopérateurs maralpins.

Cécile Hagnauer

Coopératrice EELV

PACA

Une réflexion au sujet de “Comment réconcilier l’entreprise avec le monde vivant ?

  1. Je n’ai pas tout compris, loin s’en faut, mais je me suis parfaitement identifié dans ton chapitre sur l’entropie. C’est pourquoi, selon ma thermodynamique, je vais ajouter de l’information dans mon système dans l’espoir d’en diminuer (mais seulement localement) l’entropie.
    En revanche (et plus sérieusement) le biomimétisme et l’économie circulaire (qui ne produirait aucun déchet) font partie des utopies auxquelles je ne crois plus. Le seul chemin pour y parvenir passerait obligatoirement par la décroissance, alors là … … …

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