La loi des « Payeurs »

La loi des « Payeurs »

Le travail est un système qui a ses propres règles de fonctionnement dans l’univers des intérêts de l’être humain. Il existe principalement parce que celui-ci doit trouver des réponses matérielles à ses besoins essentiels de survie : boire, manger, s’abriter, respirer et se perpétuer.

Le travail individuel

On peut distinguer le travail individuel que réalise en toute autonomie l’individu seul : par exemple élever son enfant, faire son jardin, entretenir sa maison. Ce travail a tendance à ne pas être reconnu, sauf s’il est monétisé, spécialisé dans le cadre d’un statut comme l’artisanat, les professions libérales l’auto-entrepreneuriat. Ce qui le fait reconnaître, et par là exister, c’est sa capacité à financer au travers de taxes, cotisations et impôts des structures collectives.

Est-ce à dire que le travail, qui anciennement existait comme une réponse systémique aux besoins essentiels de l’être humain, n’existe plus aujourd’hui que lorsqu’il conforte par l’économie notre système collectif ? On peut s’interroger sur l’intérêt d’un tel dévoiement. C’est ainsi qu’à une époque récente des inspecteurs « zélés » des impôts et de l’URSSAF traquaient les échanges d’activités entre amis ou en famille pour les faire exister en les réintégrant dans le cadre d’un travail « déclaré ».

Le travail collectif

Il existe une autre forme de travail qui n’est pas individuel mais collectif : pour l’individu il se subit principalement en état de subordination, ou parfois de coopération ou de collaboration. Pour ces deux dernières formes, ce sont les lois sur les sociétés et les associations qui encadrent leurs activités et la relation des individus. Reste la dernière forme, la subordination, qui est la caractéristique de l’activité collectivisée. Elle fait l’objet, par une appellation abusive, d’un contrat de travail, alors qu’il n’est en fait qu’un contrat d’emploi, qui enlève à l’individu toutes implications autres que celles qui consistent à donner sa force de travail pour faire perdurer un système qui n’a pas pour priorité la survie de l’espèce humaine. On trouve ainsi dorénavant des travailleurs pauvres, dans le sens où ils ne peuvent assurer leurs besoins vitaux : boire, manger, s’abriter, respirer et se perpétuer. Épiphénomène annonçant une déconnexion de plus en plus forte entre les intérêts de survie de l’individu et l’intérêt des « payeurs » qui prônent une économie du produit et du service, alors que l’individu dans sa dimension collective a besoin d’une économie de l’usage et de la fonction.

L’économie de l’emploi n’assure pas à travers ses contrats le bien-être des individus mais la solidité de son système qui s’appuie sur la subordination des travailleurs aux « payeurs ».

C’est aujourd’hui un véritable combat que de redéfinir un travail permettant à l’individu d’exister.

Le champ du travail collectif est déjà perdu et à reconquérir. Mais cela n’est pas suffisant pour les payeurs. Tous les champs du travail individuel sont visés par des attaques incessantes. C’est le cas pour les auto-entrepreneurs qui ne deviennent que des salariés déguisés, sans oublier « l’ubérisation » de l’économie de la location et du partage (taxis, hôtels, gîtes, restaurants, assurance, livraison…), au travers de plateformes de mise en contact ou de comparatifs tendant à « soumettre » le marché à des dictats. On assiste aussi à « l’encadrement » de plus en plus fort, par les payeurs, de la définition, du contenu et de la méthodologie des actions associatives subventionnées.

Il me semble important aujourd’hui de refuser tout débat sur le travail qui ne pose pas comme principe qu’il est indispensable à l’individu pour exister. Et de poser comme principe que la société n’est que l’émanation nécessaire des besoins collectifs des individus et non des besoins des payeurs quand ceux-ci ont des objectifs déconnectés de l’humain. La politique de nos pays est déjà bien contaminée quand on voit la manière dont on traite les immigrés ; boire, manger, s’abriter, respirer et se perpétuer ne fait plus partie des impératifs sociétaux.

L’être humain n’a pas besoin de produits et de services définis par la sécheresse et l’étroitesse d’une pensée entrepreneuriale, mais il construit sa résilience et sa richesse par l’usage et la fonctionnalité de ce qui lui est nécessaire.

On ne changera pas l’un sans l’autre.

Cette économie du produit et du service existe par un travail ou l’hétéronomie de l’individu dans son activité est indispensable. Je ne saurai dire si c’est l’économie qui a crée la forme du travail qui lui convient ou l’inverse, mais, ce qui semble exact, c’est que les deux sont intimement liés et que l’on ne changera pas l’un sans l’autre.

Dans un monde où la transversalité et l’autonomie cherchent à prendre de plus en plus de place, en intégrant d’ailleurs la dimension écologique et sociale, l’économie de l’usage et de la fonctionnalité qui répond à ces attentes ne pourra se satisfaire d’une réflexion tronquée sur le travail. De plus, elle devra aussi s’accompagner d’une réflexion sur le lieu et le temps du travail.

Pour nous écologistes défendre une économie d’usage et de la fonctionnalité versus une économie de produit et du service me semble un combat urgent et essentiel.

 

Christian OLIVE
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« Un jour, il nous faudra bien répondre à notre véritable vocation, qui n’est pas de produire et de consommer sans fin, mais d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes  »

Pierre Rabhi

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Voir ci-dessous quelques éléments de réflexions supplémentaires sur le lien entre hétéronomie et forme du travail et de l’économie qui en découle.

Et l’industrie naquit dans les monastères…

Faire de l’entreprise le cœur des sociétés : ce projet, claironné par M. Emmanuel Macron, est d’ordinaire identifié au néolibéralisme contemporain. Il marque en réalité l’aboutissement d’une longue histoire. Celle de la rationalisation du travail et du temps, qui commence dans les monastères au XIIIe siècle. Celle aussi de l’édification d’une croyance commune dans le salut par le progrès industriel.

Extrait du livre de Pierre Musso :
La Religion industrielle. Monastère, manufacture, usine. Une généalogie de l’entreprise, Fayard, Paris, 2017.

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