I/ Pour un nouveau modèle politique
Le fonctionnement de la vie politique française est en grave crise. Si on en rejette le plus souvent la responsabilité sur les élus et les partis politiques, on peut noter que dans le même temps ils ne sont jamais apparus aussi incapables de peser sur les évolutions sociales et économiques de la société. En parallèle, ils sont par ailleurs soumis à un niveau de contrôle et une exigence de transparence accrus qui au lieu d’assainir le monde politique semblent surtout mettre en lumière ses failles et ses dérives.
Enfin, la prégnance de plus en plus importante et visible du pouvoir de la finance et du monde économique sur le pouvoir politique s’accompagne d’une défiance du citoyen vis-à-vis du politique, attitude qui ne fait que favoriser l’émergence du populisme et des mouvements d’extrême droite. La réaction citoyenne positive à cette situation est celle d’une implication croissante dans le monde de l’action associative militante.
L’augmentation régulière du taux d’abstention et le très faible engagement dans les partis politiques constituent les symptômes les plus criants de cette crise.
Résoudre cette crise du fonctionnement de la vie politique, demande l’ouverture d’un vaste chantier basé en particulier sur une profonde mutation de notre conception de la responsabilité et de l’action politique.
S’il est clair que le modèle cadré par la constitution de notre 5ème république n’est plus adapté à l’évolution de la société, et qu’une 6ième république devra être proposée, on peut dès maintenant travailler sur des expérimentations qui en constitueraient le socle.
Actuellement les relations entre l’associatif ou le citoyen, les élus ou les partis politiques sont compliquées voire inexistantes notamment pour les raisons invoquées plus haut.
Or « faire de la politique» ne peut se limiter à préparer une élection, à constituer des écuries électorales, à travailler à faire élire un représentant, rôles assignés au partis par la constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage » (art. 4 de la constitution).
Mais alors, dans quel espace élaborer un projet politique de façon collective entre tous les acteurs de la société, élus, associations, citoyens ? Comment envisager l’action politique dans la continuité et non plus lors des seuls rendez-vous électoraux ? Comment recréer le lien perdu entre élus et citoyens ? Comment nourrir les décisions de l’élu, avec les réalités concrètes du terrain ?
Derrière toutes ces questions, c’est bien la définition même de ce que sont la politique et l’exigence démocratique, qu’il faut revoir.
Si les modèles de laboratoire d’idées ou « think tank » sont intéressants pour « penser » la politique, un espace fait défaut pour réussir à « agir » la (ou en) politique.
Il est donc urgent d’entendre la voix des nombreux militants (en particulier parmi les jeunes) pour lesquels l’exercice de la citoyenneté ne passe plus par un parti ou par un vote. Ils sont engagés dans des mouvements sociaux, dans des associations, ou dans l’action spontanée. En quoi seraient-ils moins citoyens que les électeurs qui limitent leur engagement à déposer un bulletin de vote tous les 5 ou 6 ans Faire porter la responsabilité de la crise du politique par ces abstentionnistes est parfaitement injuste au regard de leur investissement dans l’action citoyenne.
Faire de la politique, c’est travailler ensemble à l’organisation de la vie de la cité. La participation aux élections et le travail des élus n’en sont qu’une des facettes.
Pour mettre en œuvre cette conception partagée de la politique, il nous appartient d’inventer un espace facilitant une liaison plus organisée et permanente entre engagements citoyens et travail des élus.
II/ Un modèle basé sur l’expérience du réseau coopératif EELV ?
Le constat ci-dessus prévalait déjà pour D. Cohn Bendit lors de la mise en place, en 2010, des nouveaux statuts d’EELV, avec une ouverture « vers la société civile » et résumé par la proposition « il faut politiser la société civile et civiliser le politique ».
Les statuts d’EELV permettaient en effet de créer cet espace de rencontres en participant au mouvement EELV en tant que « coopérateurs/trices ». Cette idée reste plus que jamais d’actualité.
Après cinq ans de fonctionnement, nous devons toutefois reconnaître que pour diverses raisons les coopérateurs/trices ont éprouvé des difficultés à assurer leur visibilité et la place spécifique de leurs actions.
Mais nous devons aussi prendre acte des lacunes du modèle statutaire proposé par EELV. Ces statuts maintenaient en particulier une ambiguïté entre la notion de mouvement et celle de parti, avec un seul et même nom pour les deux. Ce manque de lisibilité et cette confusion ont largement compliqué l’investissement des citoyens et du mouvement associatif dans cette coopérative politique.
Au-delà de stratégies internes qui ont largement contribué à étouffer dans l’œuf le projet de coopérative au sein d’EELV, nous devons dresser un constat : Si la conception de la coopérative était une idée louable, elle ne pouvait se réaliser au sein du parti/mouvement EELV. C’était en effet sous-entendre que la politique restait l’affaire d’un parti, en l’occurrence EELV, laissant aux coopérateurs individuels et associatifs le rôle de supplétifs de la vie de ce parti. C’est ce qui s’est encore observé dans l’émergence de diverses « coopératives » autour d’un candidat ou d’une liste, lors des dernières élections régionales
S’il faut le répéter, répétons-le : l’engagement politique est un tout qui se manifeste dans l’action citoyenne notamment associative. L’organisation des élections et le travail des élus ne constituent ainsi que l’une des formes de l’engagement politique.
III/ Un nouvel espace, mais lequel ?
On l’aura compris, c’est de la création d’un nouvel espace de l’écologie politique qu’il s’agit. Un espace permettant de sortir d’une vision de la politique centrée sur les élus et les partis Un espace ouvert à la concertation et aux fertilisations croisées entre citoyens, associations, fondations, partis, qui partagent un socle minimum de valeurs.
Le premier travail consistera à définir ces valeurs et le champ politique qui feront que des citoyens, des associations, des fondations ou des partis politiques pourront se retrouver dans cet espace.
La difficulté de l’exercice est de pouvoir être suffisamment inclusif sans s’éloigner des valeurs fondamentales de l’écologie, afin que cet espace puisse réellement « agir » la politique. Pour ne pas réinventer la roue, on pourrait simplement s’appuyer sur les valeurs de l’écologie politique définies dans la charte mondiale des verts.
Tous les militants écologiques (au sens de l’engagement), encartés ou non dans un quelconque parti politique, investis ou non dans une association mais prêts à porter ces valeurs écologiques, sociales, démocratiques, et désireux d’agir en politique pourront trouver leur place au sein de cet espace.
Cet espace sera celui de la rencontre des acteurs pour le développement de politiques écologiques, quels que soient la forme et le niveau d’engagement choisis, comme par exemple :
– s’impliquer dans des actions et projets et citoyens pour mettre en œuvre la transition écologique de la société ;
– œuvrer à la pénétration d’une culture de l’écologie politique dans l’opinion publique (par exemple : dans et par l’éducation environnementale);
– participer aux grands choix structurants du mouvement politique et à l’élaboration de ses orientations politiques (par exemple à travers les commissions thématiques) ;
– s’investir au moment des élections pour peser sur les décisions aux différents échelons territoriaux.
L’objectif de cet espace est donc bien celui d’abriter un mouvement d’écologie politique qui ne se limite pas au travail des seuls élus et à la définition des programmes électoraux des partis.
Sa composition qui met sur un pied d’égalité associations, citoyens et partis permet de valoriser le rôle politique de chacun dans la vie de la « cité ». De même, son organisation doit faciliter les rencontres et les échanges entre élus et non élus autour de valeurs communes. C’est à ce prix que la défiance vis-à-vis des « politiques » pourra être surmontée. De même les élus y trouveront des sources d’innovations, de révisions ou de soutiens pour leurs choix et décisions.
Enfin, pour qu’il reste ouvert à tous les porteurs de l’écologie politique sous toutes ses formes, cet espace ou ce mouvement n’a pas vocation à assurer les fonctions d’un parti politique, en particulier dans sa fonction de « concourir à l’expression du suffrage ». C’est ainsi qu’aucun candidat à une élection ne pourra se présenter au nom de ce seul mouvement. A l’inverse, l’intensification des échanges entre porteurs de l’écologie politique sous toutes ses formes au sein du mouvement va faciliter le renouvellement du personnel politique et la mobilité entre partis et associations au gré des choix personnels et des circonstances (1)
Enfin, le modèle proposé doit permettre de penser et agir là où les réflexions émergent et là où les décisions se prennent. L’organisation de cet espace doit donc pouvoir se décliner aux différents échelons allant du niveau local jusqu’au niveau national, voire européen (2) .
IV Un nouvel espace, pour quoi faire ?
En résumé, cet espace ou ce mouvement politique vise à
– réconcilier les citoyens avec la politique en reconnaissant à sa juste valeur leur action « politique » à côté de celle des politiques
– créer un lieu de rencontres et d’échange citoyens-élus sur un pied d’égalité autour de valeurs communes pour
– lutter contre la défiance vis-à-vis du politique
– nourrir les politiques des réalités de terrain
– sensibiliser les citoyens à la complexité des choix démocratiques (négociations, respect des opinions…) des élus et des assemblées démocratiques
– démontrer la viabilité d’une forme innovante de mouvement politique à la fois démocratique et efficace.
Enfin, et c’est le plus important, ce mouvement, par l’ampleur du rassemblement (certaines associations ont des milliers de membres) et par sa richesse devrait peser significativement pour faire des choix et prendre des orientations politiques réellement écologiques
(s) Les membres du Comité nationale d’animation de la Coopérative EELV
Le 31 janvier 2016