Le monde est fini et notre désir est infini.
Aujourd’hui nous avons colonisé l’ensemble de la planète et l’utiliser plus serait un suicide. Ce constat implique que notre désir infini doit se porter vers la sobriété.
La sobriété, dans toutes ses dimensions individuelles et collectives, est avant tout un art de vie non quantifiable et au seuil ajustable, ce n’est pas l’abstinence. Collectivement cela devient une pensée politique apartisane, puisqu’elle ne relève pas de la gestion, qui elle est partisane, mais de l’engagement de chacun et de tous. Pour exister elle ne peut être que culturelle et imaginée, définie, conçue, aimée par l’individu. Le besoin de coopérer des individus, cherchant naturellement à être plus résilients, pousse à l’incorporer dans les règles de gestion du collectif, de gestion de l’Etat. Elle ne peut s’imposer, au risque certain d’être rejetée dans la continuité, ou obtenue par une contrainte vite inacceptable.
La politique apartisane est essentielle dans une société faite d’humanité, où le sentiment de coopération prime sur la compétition : la conjuguer avec la politique partisane permet d’introduire l’incertitude existentielle par une morale adaptée et participe à la définition d’une rationalité ordinaire, cette rationalité ordinaire qui permet à la politique apartisane de ne pas devenir « apolitique » et de rester « citoyenne ».
Pour porter la sobriété : un imaginaire à construire
La rationalité ordinaire se construit en s’appuyant sur trois piliers.
- L’intuition de l’individu qui est le résultat d’une construction heuristique alimentée par sa culture thématique, ses connaissances, accumulées tout au long de sa vie.
- Le bon sens de l’individu qui est le résultat exprimé d’un raisonnement prenant en compte les repères et les informations qui lui sont personnellement acquises.
- La morale de l’individu qui est la conciliation sociétale admise par tous des éthiques individuelles diverses.
L’intuition et le bon sens sont deux manières différentes de traiter l’information. Information qui n’a d’intérêt que si elle se transforme en connaissance. Si on imagine ce qu’est l’information, elle constitue les pièces d’un jeu de construction. La connaissance guidée par l’imaginaire en phase avec la morale, écologiste dans notre cas, est l’assemblage créatif de ces pièces. C’est cette connaissance qui permet d’exprimer la rationalité ordinaire de chaque individu.
La sobriété est attachée à l’individu et elle est constituée d’une intuition et d’un bon sens issus de connaissances exprimées au travers de repères à consolider sans cesse ; elle est imaginée et sculptée par une morale « écologiste »
Morale écologiste dont les valeurs premières pourraient être que chacun se reconnaît interdépendant avec les autres, la nature et les générations futures dans un esprit de coopération.
La sobriété se construit avant tout sur le partage.
Être sobre c’est limiter ses besoins, mais limiter ses besoins ne peut exister que lorsque l’on a satisfait ses besoins essentiels d’existence physiologique, physique et morale. La sobriété doit donc être vue comme un niveau « de vie » et non pas comme un chemin vers le toujours moins.
Elle passe par la recherche de satisfaction des besoins essentiels qui portent, en dehors de toutes choses, à avoir de la nourriture, avoir de l’eau, avoir un toit, avoir un air respirable, avoir des descendants, se construire en rencontrant l’autre et être sécurisé dans sa survie et sa santé. Tout individu doit pouvoir boire, manger, s’abriter, respirer et se perpétuer, échanger, se confronter et s’aimer, trouver un équilibre de vie constructif, créatif et rassurant. La sobriété ne peut exister que dans une société de partage assurant la satisfaction au minima de ces besoins naturels.
Nous avons accumulé une science et une culture qui nous permettent de dépasser ce stade presque animal et pourtant une partie de l’humanité n’y a pas accès. Si on doit parler de sobriété, l’État, représentant du collectif, se voit chargé de penser celle-ci comme un plus pour certains en assurant l’accès à la satisfaction des besoins naturels pour ceux-là et une tempérance des besoins « dé-naturés » pour d’autres.
La sobriété est donc un point d’équilibre civilisationnel entre les besoins naturels et les besoins dé-naturés.
Et l’efficacité dans tout cela ?
L’efficacité des moyens guidée par la sobriété fait varier ce point d’équilibre civilisationnel. On est dans le domaine de la rationalité pratique.
L’efficacité si elle n’est pas conduite par la sobriété n’écarte pas les effets « rebonds » (ma voiture consomme peu, alors je peux faire plus de kilomètres), les investissements dans des produits trop dé-naturés (les SUV aux normes environnementales, les énormes frigos américains peu énergivores, etc.)
Par exemple, l’efficacité aujourd’hui serait de diminuer de manière drastique les transports contraints et ensuite de voir quels véhicules semblent le plus adaptés à cette nouvelle situation et non de concevoir des véhicules permettant de se déplacer avec le moins d’impacts possibles, sans envisager la sobriété, la réduction de nos déplacements contraints. Les Gilets jaunes sur leurs ronds-points en réagissant à l’augmentation du prix du carburant exprimaient en fait une pensée politique apartisane forte au travers d’une rationalité ordinaire : les transports contraints pèsent trop sur notre budget. Notre société n’a pas été capable de conjuguer l’efficacité d’une rationalité pratique et le pragmatisme institutionnel en découlant pour répondre à cette tension. On voit ou cela nous mène.
La sobriété indique la route et l’efficacité est le moteur, mais qui conduit ?
La rationalité savante : elle conjugue le pragmatisme institutionnel, la rationalité ordinaire des citoyens et la rationalité pratique des experts. Cette rationalité savante s’apparente à celle qui présidait aux décisions prises par les anciens sous l’arbre à palabres.
Elle permet une innovation qui s’approprie une complexité que l’on ressent avec son cœur, sa tête et ses mains.
Cette rationalité savante est notre garde-fou. Elle permet pour toutes nouvelles efficacités d’envisager, ou pas, une nouvelle sobriété. L’agroécologie et la permaculture en sont des exemples, les recherches sur le biomimétisme ouvrent de nouveaux horizons. Elle permet aussi à l’individu d’espérer vivre en accord avec lui-même tout en répondant aux enjeux environnementaux et civilisationnels. Les ZAD en sont l’une des expressions.
Cette sobriété rationnellement diverse n’est donc pas raisonnable.
« Quiconque est conduit par la Raison désire aussi pour les autres le bien qu’il désire pour lui-même » (Spinoza).
Elle est diverse parce qu’attaché à l’individu, à chaque individu.
Nous avons tendance parfois à penser que la sobriété c’est les petits gestes de notre quotidien. Mais avec le recul il est bien évident que ce n’est pas suffisant pour bousculer notre manière de vivre et construire un art de vivre. L’intérêt de ces petits gestes se trouve dans la construction d’une prise de conscience de notre intempérance collective. Ils aident à construire le bon sens et participent à l’intuition. Ils ne remettent pas en cause les fondements de nos excès, mais c’est la conscience de la sobriété de chacun qui construit la sobriété collective.
- Individuellement, les petits gestes reconnectent avec le naturel et nous éloignent du dé-naturé. Ils participent à notre éthique et construisent une morale sociétale. Nous devrions en être mieux conscients et le laisser transparaître avec plus de force dans les incitations à « ces économies » qui sont de fait assez limitées et contribuent, présentées ainsi, à une dévalorisation de l’imaginaire. (Sauf chez les enfants pour qui la notion d’économie est une valeur abstraite, et comme eux nous devrions nous attacher beaucoup plus à l’émerveillement.)
- Collectivement la sobriété doit donc se construire comme un droit et un devoir dont le seuil qui les rend mitoyens est sans cesse à revoir.
- Individuellement et collectivement, au vu de ce qui apparaît de plus en plus comme une urgence, que cela soit en raison d’un changement climatique à risque ou d’un sentiment d’une nécessaire transition sociétale, nous nous devons l’impératif de ne pas nous disperser et de mettre notre énorme potentiel créatif au service d’une efficacité de la sobriété : déconnecter l’efficacité du productivisme.
Cette sobriété est un élément important de la morale « écologiste ». C’est un nouvel art de vivre. La construction de cette morale « écologiste » va rencontrer l’écueil habituel de l’autoritarisme raisonnable, s’autorisant à la combattre sous couvert de pathologie sociétale par la force et la violence dans toutes ses expressions.
Mais pour résister, la sobriété est un cheminement immatériel. C’est une attitude. Elle peut sans cesse être transmise, enrichie et partagée. « Quand on partage un bien matériel, on le divise, quand on partage un bien immatériel, on le multiplie » (Idriss Aberkane). La sobriété qui est un bien immatériel peut donc répondre à nos désirs infinis par l’émerveillement et la créativité attachée à cet art de vivre.
Christian Olive
Coopérateur EELV
Languedoc-Roussillon
Une réflexion au sujet de “Sobriété mon amour, efficacité ma raison.”