Bonjour à toutes et tous,
Comme vous le savez, le dimanche 1er octobre prochain un référendum sur l’indépendance est organisé par les autorités de la Catalogne au grand dam de celles de Madrid.
Une nouvelle république va-t-elle naître en Europe en se détachant d’un royaume ? Rien n’est moins sûr tant la situation politique est désormais chaotique dans la péninsule ibérique et le processus des urnes sévèrement mis en danger par le gouvernement Rajoy qui n’y voit qu’illégalité alors que les partis pro indépendance parlent eux du droit universel d’un peuple à décider par lui-même.
J’ai été convié à faire partie de la délégation des observateurs internationaux qui vivra en direct et en première ligne le déroulé de ce moment politique extrêmement incertain.
Je vous informe que j’ai accepté l’honneur et les responsabilités de cette mission d’observation comme je l’avais fait – déjà en Catalogne – lors de la consultation (non officielle) portée par la société civile de novembre 2014 (sur le même sujet), puis lors des élections de la Generalitat en septembre 2016 (qui ont mené aux affaires la coalition indépendantiste).
Le contexte des missions précédentes était déjà tendu.
En novembre 2014, la votation s’était finalement déroulée sans trop de heurts (et avec une participation assez forte malgré les appels au boycott des partis “madrilènes”). Mais la nette victoire du “double Oui” (Oui à l’indépendance et Oui à ce quelle se fasse dans le cadre d’une république) avait conduit à de lourdes condamnations pénales contre des responsables politiques indépendantistes.
En septembre, l’an dernier, la campagne électorale avait été rude et la participation très forte. Les partis indépendantistes y ont – pour la première fois – emporté la majorité des sièges en frôlant la majorité des voix (en sachant qu’environ 9% des voix – dont celles des formations écologistes catalanes – ne se prononçaient pas clairement sur l’indépendance, mais pour l’instauration d’un dialogue sans tabou entre Barcelone avec Madrid) .
Aujourd’hui le ton a radicalement changé et la tension est devenue extrême, au point que l’on craint désormais de graves “dérapages” si la violence (encore contenue) se libérait.
Le Gouvernement de droite de Rajoy (minoritaire aux Cortes) a créé une alliance avec les Socialistes et Ciudadanos (libéraux anti indépendance) et s’attaque frontalement à l’initiative référendaire. Outre les recours systématiques devant le Tribunal Constitutionnel contre toutes les décisions des autorités catalanes exprimant leur volonté de “déconnexion” avec l’Espagne (systématiquement annulées), ces jours derniers Madrid a concrétisé ses menaces : saisine de la Justice contre les plus de 700 maires (sur les 948 que compte la Generalitat) qui ont décidé d’organiser le scrutin sur leur territoire (Ada Colau, la célèbre Maire de Barcelone a dit qu’elle “permettrait” le vote), mise sous séquestre des finances de la Generalitat (c’est Madrid qui paye directement les fonctionnaires et les dépenses publiques), ordre donné aux forces de police autonomes de Catalogne (les « Mossos d’Esquadra ») de ne plus obéir au Gouvernement catalan, mise en examen de tout le Bureau du Parlement de Catalogne et poursuites pénales contre nombre de ministres de la Generalitat, descentes de la Guardia Civil dans de nombreuses imprimeries pour confisquer tout le papier qui pourrait servir à l’impression des bulletins de vote, ordre donné à la Poste d’intercepter tout courrier pouvant avoir trait à la propragande électorale, menaces de licenciement contre tout agent public qui faciliterait le référendum, blocages des sites internet indépendantistes, ordre de destruction des urnes le jour du vote… C’est tout l’arsenal de “l’exécution forcée” décrit à l’article 155 de la Constitution espagnole (jamais utilisé jusqu’ici et permettant la prise de contrôle d’une Région par Madrid) qui se met en place instaurant de fait ce que les indépendantistes appellent désormais un “État de siège latent”. L’étape suivante – en cas de troubles de rues (et les indépendantistes y ont réuni un millon de personnes le 11 septembre dernier) pourrait être l’application de l’article 8 de la Constitution en faisant appel à l’Armée (!) qui doit se porter garante « de la souveraineté et de l’indépendance de l’Espagne, de défendre son intégrité territoriale et son ordre constitutionnel”…
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La mission d’observation commence le jeudi 28 septembre en soirée pour se terminer le lendemain du référendum, le lundi 2 octobre, par une conférence de presse des observateurs face à la presse internationale. Au programme sont prévues des rencontres avec toutes les formations politiques catalanes, les forces de la société civile, ainsi qu’avec les autorités de la Generalitat au plus haut niveau (Chef du Gouvernement, Ministres, Présidence de l’Assemblée…). Le jour du scrutin, par petits groupes, nous sillonnerons toute la Catalogne pour voir comment se déroule (ou pas) la votation. Pour ma part, je prolongerai mon séjour de quelques jours sur place pour “observer” et relater au besoin la suite (la déclaration éventuelle d’indépendance devant se faire, le cas échéant, sous 48 heures).
J’ai bien évidemment accepté les règles inhérentes à une mission d’observation telles que fixées par l’ONU. J’ai donc déjà fait remonter les usuelles recommandations pour la tenue d’un scrutin selon les normes démocratiques universelles. Par contre je me dois, AVANT le scrutin, de m’abstenir de toute déclaration publique pouvant nuire à l’impartialité et à la qualité de la mission d’observation. Ce n’est que PENDANT et APRÈS le scrutin que je pourrai dire – de façon libre, factuelle et honnête – ce que j’ai pu observer et ce que j’en conclus. De nombreux médias m’ont déjà contacté en ce sens.
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Les sondages d’opinion (pas toujours très fiables en Espagne comme l’ont démontré les scrutins régionaux et nationaux des trois dernières années) donnent une courte avance de quelques points au refus de l’indépendance avec une dizaine de pour cent d’indécis. Par principe, Madrid a refusé de jouer le jeu d’un scrutin qu’il pourrait pourtant gagner, alors que les trois quart des citoyen/nes catalan/es se disent favorables à la tenue d’une telle consultation. Deux logiques vont donc se heurter frontalement dans un moment peut être historique, sous les regards tétanisés de la classe politique européenne (notamment française) qui a du mal à concevoir ce que pourra être “l’après” (politiquement et juridiquement) – y compris les conséquences dans leur propre pays – quelle que soit la façon dont va se dérouler cette complexe séquence. D’un côté il y a la détermination de Madrid qui s’appuie sur tous les moyens juridiques, financiers et policiers d’un État, et de l’autre côté une détermination non moins grande d’une large part de la population (et de leurs élu/es) d’une des plus importantes et anciennes communautés de la péninsule.
De par mes responsabilités (au Parlement Européen en charge des Affaires Constitutionnelles, puis à la Région en charge du suivi de l’Eurorégion Occitano-Catalane) je pense bien connaître le contexte catalan, notamment depuis la décision du Tribunal Constitutionnel espagnol qui a mis le feu aux poudres en 2010 en abrogeant le Statut de la Catalogne (pourtant validé par tous les partis à Madrid et par un référendum catalan, reconnu là comme légal). Mais pour la première fois, lors des entretiens directs – formels et informels – que j’ai avec les principaux protagonistes de ce dossier, certains m’ont part de craintes pour leur « sécurité physique”… Dès lors, en toute franchise, je ne peux dire aujourd’hui si ce référendum pourra se dérouler, et si oui dans quelles conditions et avec quelles conséquences. Je ne sais même pas si les observateurs “étrangers” fusse nt-ils libres citoyens européens pour certains – vont avoir droit de séjour dans la péninsule ibérique dans les jours qui viennent…
Une page de l’histoire de l’Europe va sans doute s’écrire. Aujourd’hui elle est encore blanche. Formons le vœu qu’elle ne soit pas tâchée de sang dans les temps prochains.
Bien à vous,
Gérard ONESTA.
en tant qu’adhérent d’Europe Ecologie Les Verts, citoyen du monde et d’Europe, de nationalité occitane et de droit français, je tiens à remercier Gérard d’avoir à nouveau accepté la responsabilité d’être observater international d’un scrutin organisé sur la Generalitat de Catalunya et de nous informer de la gravité du contexte. Une fois encore les dirigeants d’un Etat Nation dont la Constitution affirme l’intangibilité des frontières empêchant ainsi l’exercice du droit à l’autodétermination permettant aux citoyens d’une circonscription politico administrative de se prononcer pour un éventuel avenir hors de cet Etat nation. On peut comme moi préférer un véritable fédéralisme européen (qui ne peut se limiter à une fédération d’Etats Nations interdisant des référendums d’auto-détermination en leur sein) et universel à la multiplication d’Etats-Nations s’illusionnant comme la quasi totalité de ceux en place sur leur souveraineté, mais, comme le Royaume Uni l’a fait et devra peut-être le refaire pour l’Ecosse, il faut permettre au « peuple » concerné de s’auto-déterminer. La position d’EELV pourrait être de reconnaître le droit à l’autodétermination des citoyens habitant la generalitat de Catalunya sur la question adoptée par son Parlement, de dénoncer les forces politiques centralistes qui font tout pour empêcher le scrutin du 1er octobre, et de demander le respect du choix qui s’exprimera ainsi à condition que le scrutin puisse se dérouler normalement sous le contrôle des observateurs internationaux : pour l’heure c’est le gouvernement central qui s’oppose par tous les moyens juridiques, policiers et administratifs à l’exercice de ce droit à l’autodétermination, ce qui empêche notamment l’expression des électeurs de la Generalitat favorables à l’auto-détermination mais non à l’option souverainiste… Les forces qui s’opposent à l’autodétermination catalane poussent les autonomistes (qui préféraient un vrai fédéralisme démocratique en Espagne et en Europe) vers l’impasse souverainiste…
Bonjour
De combien de membres était composée la commission, qui ėtaient-ils
Que répondez-vous à l’article d’Anne Sophie Mercier dans le canard enchaîné du 11 octobre:
« ….aucune commission électorale n’a supervisé l’organisation, le recensement des ėlecteurs n’ėtait pas transparent, et le vote n’ėtait pas secrėtaire.. .. »
Cordialement
Yves Sauvage
Bonjour,
Les missions d’observations sont courantes sous toutes les latitudes depuis des décennies. Elles sont mises en place – dans un souci de prouver sa bonne foi en toute transparence – soit par l’autorité qui a pris l’initiative du vote, soit pas un des camps en présence (les opposants dans le cas d’une dictature par exemple). Elles peuvent s’adosser à un organisme tiers (OCDE, UE…) ou pas. Dans tous les cas, des règles sont à observer si l’on veut que la mission soit crédible. Ainsi, les observateurs sont extérieurs (ils ne viennent jamais du territoire concerné par le scrutin), la composition de la mission doit être d’évidence pluraliste et réunir des gens ayant des compétences prouvées en la matière. Il est par ailleurs recommandé de signer le texte élaboré auprès de l’ONU en 2005 indiquant la conduite à tenir par les observateurs avant et pendant le scrutin (non ingérence durant la campagne et le vote, impartialité, s’en tenir à des éléments factuels, etc).
La mission d’observation pour le référendum catalan comptait deux collèges, comme c’est parfois le cas en de pareilles circonstances. Il y avait d’abord collège de parlementaires ou ex-parlementaires (auquel j’appartenais) composé de 33 membres venant d’un vingtaine de pays et couvrant un très large spectre d’opinions politiques (conservateurs, libéraux, sociaux démocrates, écologistes, souverainistes…) dont la mission a duré plusieurs jours. On comptait en parallèle un collège de juristes dont la mission a duré plusieurs semaines. Les membres des deux collèges ont dû signer et respecter la déclaration de 2005 pour avoir leur badge d’accès à tous les lieux de leur mission. Nous avons pu rencontrer librement tous les acteurs du scrutin (y compris des opposants à la tenue du vote, du moins ceux qui ont accepté de venir à notre rencontre). Nous avons surtout pu nous entretenir avec des experts de droit international sur la question de la constitutionnalité du référendum, et aller au contact de multiples acteurs de la société civile.
Avant le scrutin, nous avons pu constater les “empêchements au vote » mis en place par Madrid (matériel détruit, menaces judiciaires, arrestations, sites d’information fermés) et avons assisté (comme tous les médias mondiaux) aux “empêchements au vote” (blocage informatique, charges de police, destruction d’urnes…) déployés le jour du référendum.
Le jour du vote nous avons sillonné par convois (il y en avait dix, j’étais dans le convoi N°7) divers lieux de la Catalogne représentant la diversité géographique, sociale et politique catalane. À plusieurs reprises et en toute liberté, nous avons pu modifier notre parcours pour aller observer ce que bon nous semblait.
Contrairement aux dires de ceux qui n’étaient pas sur place et ont relayé des choses sans les vérifier, nous avons pu attester que – mises à part les lourdes intimidations, les confiscations et la grave violence (!) – les conditions matérielles du vote correspondaient bien aux standards démocratiques internationaux.
OUi la campagne électorale a été longue, ouverte et pluraliste (tous les médias mondiaux ont pu en suivre l’intensité durant des mois). Oui il y avait une liste électorale correcte puisque c’était celle qui sert à toutes les élections dans la Generalitat (et avait servi 12 mois plus tôt à l’élection du Parlement de Catalogne). Oui on pouvait voter par correspondance selon les strictes modalités habituelles du code électoral espagnol. Oui les règles pour avoir le droit de vote étaient celles qui sont en vigueur en Espagne. Oui les électeurs avaient tous eu connaissance de l’emplacement de leur bureau de vote malgré l’ouverture (!) et la destruction par les autorités espagnoles des courriers conviant les électeurs (les sites internet et les réseaux sociaux ont aisément contourné cette censure). Oui il y avait des urnes, transparentes, vides en début de vote, et scellées. Oui il y avait partout des bulletins de vote règlementaires en quantité suffisante portant une question claire et rédigée dans les 3 langues officielles de la Generalitat. Oui il y avait des présidents et assesseurs tirés au sort parmi les citoyens volontaires dans tous les bureaux de vote. Oui les bureaux ont ouvert et fermé à l’heure. Oui toutes les opérations de vote étaient publiques, au vu et au su de chacun, et les urnes n’ont pas été déplacées durant la journée. Oui on ne pouvait voter qu’une seule fois car le système informatique saisissait le nom, adresse et numéro de carte d’identité du votant fermant alors son “droit de vote” en autre lieu ou à un autre moment (nous avons fait plusieurs fois le test). Non il n’y avait pas d’isoloir, ce qui est généralement le cas lors des élections en Espagne car on ne prend pas (contrariement à la France) plusieurs bulletins mais un seul bulletin identique pour tout le monde et on se retourne contre le mur pour cocher – en secret – la case du vote de son choix. Oui le dépouillement s’est fait dans les règles de l’art en présence d’observateurs (dont de nombreux médias) qui ont pu constater la transparence et la rigueur du décompte. Non il n’y avait pas (plus) de commission électorale centralisée pour agréger les résultats car la justice espagnole l’avait dissoute (menace de très lourdes amendes) et mis sous contrôle le centre télématique habituel qui fonctionne le soir de scrutin. Cette commission et ce centre ont été remplacés par un collège composé de l’ensemble des président/es de bureaux de vote qui ont fait constater publiquement, chacun dans leur bureau, leurs résultats qui ont pu ainsi être additionnés dans la soirée en toute transparence. Oui il a été retrouvé près de 2 300 000 bulletins dans les urnes le soir du référendum, auxquesl il faut additionner les quelques 700 000 bulletins détruits par la police durant la journée ce qui donne un taux global de participation supérieur à la moitié du corps électoral malgré les intimidations et les violences constatées (les 42% de participation annoncés par Madrid ne prenant pas en compte les bulletins détruits par la Guardia Civil).
Sur cette base factuelle, constatée, vérifiée et attestée par tous les médias mondiaux présents ce jour-là en Catalogne, nous avons pu acter la sincérité du scrutin.
Les deux collèges parlementaires et juristes sont parvenus aux mêmes conclusions (je peux même préciser que le collège des parlementaires présidé par l’ancien Minsitre des Affaires Étrangères de Slovénie a validé – malgré sa composition transpartisane – son constat à l’unanimité !) qui disaient en substance :
– Hommage au civisme et à la non violence du peuple catalan ;
– Validation des conditions techniques du vote malgré toutes les entraves mises en place par Madrid ;
– Condamnation des intimidations et des violences du gouvernement espagnol.
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En espérant que ce long message répond à vos légitimes questions,
Bien à vous,
Gérard ONESTA
Président du Bureau de l’Assemblée du Conseil Régional d’Occitanie
Ancien Vice Président du Parlement Européen
Observateur LIBRE du référendum catalan
Bonjour,
Merci pour votre réponse bien argumentée
Il manque peut-être la composition nominative des membres des deux collèges
Cordialement
Yves Sauvage
A faire parvenir à la rédaction du canard enchaîné