- La mouvance sociale exprime avec acuité trois urgences.
- l’urgence climatique à propos de laquelle le diagnostic des experts est sans appel : la trajectoire des 1,5°C n’est déjà plus tenable, nous avons 10-15 ans pour éviter la catastrophe et les 18 mois à venir seront déterminants :
- l’urgence sociale qui s’exprime dans la casse des services publics, la précarité et ces chiffres de Thomas Piketty : en 20 ans, la part du revenu national des 10% les plus aisés de la population est passée de 30 à 40%.
- l’urgence démocratique traduite en une volonté croissante des citoyens d’être partie prenante directe de la politique, loin des partis. Avec en arrière-plan, pour une fraction de la société, l’angoisse d’un effondrement de notre civilisation techno-industrielle.
- La traduction la plus systématique de l’urgence climatique s’inscrit dans les trajectoires de 1,5 et 2°C déclinées aux horizons 2030 et 2050.
Les études d’impact de ces trajectoires nous montrent que la diminution de l’empreinte carbone proviendrait pour un quart de la transformation des comportements individuels (les « petits gestes ») et pour trois-quarts de l’intervention de l’État (régulation, investissements publics massifs, réorientation des investissements privés).
Les deux chantiers de l’écologie politique s’établissent donc ainsi :
- installer une majorité politique en 2022 ;
- participer à l’émergence d’une société écologique.
- Du côté de la conquête du pouvoir, l’offre politique reste jusqu’ici impuissante.
La stratégie du mimétisme « Verts d’Outre-Rhin » de l’écologie ni droite-ni gauche conduirait à une impasse, d’autant qu’elle ne se démarquerait pas véritablement de la politique d’abandon des touillettes plastique d’une Brune Poirson (quelle ré-vo-lu-tion !). C’est tout le contraire qui doit être envisagé : se rassembler largement autour d’un projet de transformation des modes de vie et de consommation, de décarbonation et de décroissance sélective de l’économie, donnant la priorité aux biens communs et à la justice sociale. Mais les organisations politiques à vocation écologique peinent à définir une ligne commune, du double fait d’une défiance réciproque issue d’héritages culturels difficilement réconciliables et de positionnements idéologiques différents à l’intérieur d’un triangle ayant pour sommets les trois urgences définies ci-dessus.
- Du côté des changements de modes de vie, les résistances sont nombreuses.
Si la mobilisation citoyenne paraît forte sur le climat, il ne faut pas surestimer sa traduction dans les comportements quotidiens : on considère que 20% des individus sont moteurs (changements alimentaires, covoiturage, etc.), 20% sont réfractaires et 60% plutôt attentistes sur la question.
- Les classes populaires ont d’autres priorités, essentiellement sociales, qu’elles déconnectent le plus souvent de la question climatique ;
- les 10% les plus riches au plan mondial, responsables de 50% des émissions de carbone, ne comptent pas changer ;
- et la majorité des citoyens s’accroche à son mode de vie et de consommation, vécu comme un droit inaliénable : elle est prête pour le « verdissement » mais n’adhère pas pour autant au changement des modes de production et de consommation qui est au cœur de l’écologie. Et la théorie du passager clandestin (*) vient conforter cette inertie comportementale.
- La réinvention du mouvement EELV.
Dans la perspective du Congrès de novembre prochain, elle devrait être guidée par les trois urgences et les deux chantiers rappelés ci-dessus. Cela implique à la fois un large rassemblement politique destiné à la conquête du pouvoir et un nouveau rapport à la société et à la mouvance sociale. L’espace politique le plus approprié à ces enjeux se composerait de trois entités distinctes :
- A) Un mouvement unifié de l’écologie dont la dénomination exacte reste à trouver (pourquoi pas le MEUH: Mouvement de l’écologie unifiée pour l’humanité ?). Ce mouvement regrouperait les partis à vocation écologique (dont EELV) ainsi que les jeunes écolos, la FEVE, le parti EELV et la Coopérative EELV.
Sa structure serait une « fédération » ou un « archipel » politique, le choix s’opérant selon trois critères :
- le périmètre du rassemblement,
- le « pot commun » idéologique (socle commun d’orientations politiques resserrées pour la fédération, charte de valeurs pour l’archipel)
- et le mode de gouvernance (plus ou moins horizontal). Ses fonctions principales seraient les suivantes :
- élaborer et actualiser régulièrement un projet de société ;
- faire vivre un espace de délibération entre les partis/mouvements membres sur le mode des Assises de l’écologie et de la solidarité, permettant la confrontation des idées et la fabrication de convergences utiles à l’élaboration du projet de société. Des commissions, plutôt systémiques que thématiques, nourriraient la réflexion globale ;
- s’ouvrir à la mouvance sociale par le biais d’un groupe (ou comité) consultatif permettant aux collectifs, associations, coopératives de se prononcer sur les orientations stratégiques du mouvement et les décisions d’actions communes (ex : marches pour le climat).
- B) Le Parti : il assurerait son rôle classique de conquête du pouvoir en organisant les campagnes électorales et sélectionnant les candidats ; il mettrait l’accent sur la formation des militants, des candidats et des élus. Il organiserait des alliances électorales ponctuelles au sein du Mouvement unifié de l’écologie, les traduirait sous forme de programmes électoraux et d’engagements locaux respectant la subsidiarité.
- C) La Coopérative : elle constituerait un espace de médiation entre Parti et citoyens et assurerait un lien permanent avec la mouvance sociale, l’idée étant non pas de la capter mais de se mettre à son service. Ses fonctions seraient les suivantes :
- s’impliquer dans les actions et projets de l’ensemble des collectifs militants mettant en œuvre la transition écologique de la société ;
- créer et faire vivre des Maisons locales citoyennes de l’écologie, lieux de rencontre, d’échange, de concertation, permettant de faire émerger la parole de chacun et de promouvoir des alternatives culturelles et politiques (cf. la proposition de Christian Olive à ce sujet) ;
- assurer une veille permanente vis-à-vis des initiatives écologiques locales (ZAD, etc..) et des pratiques alternatives ; en assurer la diffusion et favoriser les échanges de pratiques entre ces initiatives ;
- assurer (en liaison avec le parti) la formation pratique et théorique des militants écologistes.
Cette pédagogie aurait à cœur de sensibiliser les citoyens à la complexité des choix démocratiques en faveur de l’écologie. Deux exemples à privilégier :
- montrer que la question du climat, loin d’être purement sectorielle (énergétique), est une notion systémique intrinsèquement liée aux questions sociales (réfugiés, précaires énergétiques, injustice), au développement international (rapports Nord-Émergents-Sud, accords commerciaux), ainsi qu’aux préoccupations quotidiennes des citoyens vis-à-vis de l’alimentation et de la santé ;
- montrer que l’écologie n’est pas punitive et que les bénéfices existent au plan du sens et de la qualité de vie, au plan de la solidarité et de la responsabilité collective.
Si le nouvel espace de l’écologie politique ainsi dessiné était retenu, il conviendrait d’en examiner rapidement les modalités les plus importantes : multi-adhésion, gouvernance, articulation entre échelles d’intervention, communication et modes de financements.
Patrick Salez
Coopérateur EELV
Poitou-Charentes
(*) Le passager clandestin : théorie qui veut qu’un acteur économique ait intérêt à profiter d’une action collective sans y contribuer. Ce paradoxe s’applique parfaitement au climat : les contributions de chacun servent à tous mais ne sont pas collectivement identifiables, chacun a donc intérêt à laisser agir l’autre.