Pour une révolution social-écologiste ! (2)

Texte n°2 : Quelle écologie politique pouvons-nous rassembler ?

Construire une force social-écologiste qui supplante le pôle libéral et l’extrême droite et fasse basculer les majorités lors des présidentielles de 2022 : voilà notre horizon fondamental, le seul capable de répondre aux urgences climatique, écologique, sociale et démocratique. L’affaire sera délicate, car Emmanuel Macron, après avoir siphonné la droite, viendra mordre sur les franges pâles de l’écologie. Dans un premier texte en mai, j’ai tenté de répondre aux questions « pourquoi l’écologie politique? » et « comment peut-elle faire société? ». Dans ce second texte, je propose une réflexion sur le « que faire ensemble? », visant à clarifier le paysage de l’écologie politique et à dresser les conditions d’un rassemblement de la social-écologie.

1) Le paysage de l’écologie politique, une nébuleuse

L’écologie politique est traversée par de nombreuses lignes de partage idéologique. Les deux principales sont une ligne socio-économique (en gros de la croissance vers la décroissance) et une ligne philosophique (entre anthropocentrisme et écocentrisme). Mais d’autres existent, telles qu’une ligne démographique (antinatalistes ou non), une ligne démocratique (allant jusqu’au municipalisme) et une ligne de gouvernance territoriale (opposant essentiellement le centralisme au régionalisme).

L’axe principal de différenciation est l’axe socio-économique et les grandes familles idéologiques de l’écologie s’y placent comme sur l’échiquier politique droite-gauche (*).

Trois familles s’imposent à droite: l’écologie localiste d’extrême droite; l’écologie conservatrice de la nature et des traditions, d’influence chrétienne; l’écologie libérale de marché qui prône un capitalisme productiviste et financier vert pâle et une transition énergétique à très petits pas.

Trois familles dominent le paysage à gauche :

– l’écologie intégrale (« profonde »), centrée sur la préservation du vivant (écocentrée). Bien qu’elle se proclame « ni gauche, ni droite », je la range délibérément parmi les familles de gauche car les solutions qu’elle propose sont souvent plus radicales que ne le laisse attendre ce positionnement plus philosophique que politique. Elle prône par exemple la suppression de l’objectif de croissance et un impôt de solidarité écologique.

l’écologie d’accompagnement du modèle socio-économique actuel, orientée vers la transition écologique et des formes « soft » de croissance verte (économie résiliente, économie décarbonée, décroissance « des excès » ou de l’empreinte écologique). Elle introduit une dimension sociale (transition énergétique solidaire, bouclier social et, éventuellement, revenu d’existence) et une régulation publique, s’assimilant à une forme de social-démocratie verte ou de « keynésianisme vert ». Elle professe un renouveau démocratique.

– l’écologie de transformation du modèle socio-économique qui prône la rupture avec la croissance, la priorité aux biens communs, l’émancipation et la lutte contre toutes les formes de domination sociale, ainsi que le changement de nos modes de vie, de consommation et de production. Cette écologie radicale recouvre des catégories telles que l’éco-socialisme, l’écologie sociale et populaire et sans doute la plus radicale de toutes, la décroissance (**) (la collapsologie n’existe pas encore en format politique).

Ce qui rend cette nébuleuse plus complexe encore est le fait que certaines familles politiques de l’écologie se positionnent de façon hétérogène par rapport aux familles idéologiques. LFI, Ensemble, le PC et Génération.S coïncident assez précisément avec l’écologie de transformation et Urgence écologie ainsi que le parti animaliste coïncident avec l’écologie intégrale. Mais il n’en est pas de même pour Place Publique, Nouvelle Donne, le PRG, le PS et EELV, qui n’ont pas réellement choisi entre l’écologie d’accompagnement et l’écologie de transformation et doivent composer avec le une base idéologique floue. De la même façon, le positionnement de CAP21-LRC entre l’écologie libérale (mais sans capitalisme financier) et l’écologie d’accompagnement n’est pas particulièrement clair.

2) Rassembler les partis politiques sur un socle commun

Un rassemblement à la fois acceptable au plan idéologique et capable de susciter une adhésion massive des citoyens est celui des trois familles dites de gauche. On notera avec espoir que la somme de leurs voix représentait 36% des suffrages exprimés aux européennes.

Un socle commun à ces trois familles existe et doit faire l’objet d’un débat ouvert. Un débat qui fasse fi des rivalités de chapelle, des tactiques d’alliances pré-électorales et des stratégies personnelles. Le débat se situe, à mon sens, autour des réponses à donner aux trois défis que sont la vulnérabilité (aux effets du changement climatique, aux pollutions), la raréfaction (des ressources, de la biodiversité) et l’injustice sociale. Comment ne pas s’entendre sur une transition énergétique solidaire (redistribution aux catégories défavorisées), une décarbonation de l’économie, un grand programme public de rénovation des bâtiments, une mobilité propre, le développement de l’agriculture et de l’alimentation bio, le renoncement aux pesticides et la lutte contre les pollutions urbaines ? Les trois familles ne pouvant pas être d’accord sur tout, elles créeront des convergences en négociant des alliances thématiques (par cercles concentriques).

A gauche (*), le véritable point de rupture idéologique se situe entre écologie d’accompagnement et écologie de transformation et c’est cette dernière qui devrait s’imposer dans la société en entraînant les autres familles. Elle est en effet la seule capable de répondre à la fois aux urgences écologique et sociale. Cette écologie de transformation souffre malheureusement d’une incompréhension de ses contenus qui explique sans doute les réticences d’une partie des militants de EELV. Une écologie de transformation certes mais jusqu’à quel degré de conversion de l’économie et avec quelle régulation publique ? Et la société de post-croissance vers laquelle tend la transformation n’est pas mieux définie : avec quel partage du travail, quel type de solidarité sociale, quel mode de gestion des biens communs? Une relocalisation et une autonomie, mais doivent-elles aller jusqu’à la création de bio-régions? Le bien vivre certes, les valeurs qui s’y rattachent sont claires, mais quelles sont les conditions matérielles de ce bien vivre et d’une autolimitation dans une société du numérique et de la robotisation?

Il y a urgence à explorer toutes ces questions et à construire une pensée collective d’une société de post-croissance et du bien vivre. Il faudra ensuite la rendre acceptable, voire désirable par tous.

3) Des responsabilités particulières pour EELV

EELV, fort de ses 13,5% de voix (avec tout de même l’apport de l’AIE et des régionalistes du RPS) aux Européennes et en pleine période de « Réinvention » en vue de son Congrès de novembre, doit assumer cinq types de responsabilités :

la nécessité de co-construire des alliances politiques: parce qu’un mouvement de quelques milliers d’adhérents (même s’il enregistre des adhésions par effet d’aubaine des élections) ne peut prétendre seul rassembler la société. D’autant que l’électorat jeune dont il se glorifie ne représente en fait que 11 % des jeunes et est à la fois sociologiquement polarisé et intrinsèquement volatil.

la nécessité d’une attitude modeste: parce que la tentation hégémonique dont on perçoit malheureusement les signes dans les discours de Yannick Jadot (« Venez à nous les petits partis »; « Qui nous aime nous rejoint ») est le meilleur moyen de faire fuir les partenaires potentiels.

la nécessité de rompre avec les vieilles rancœurs (celles des alliances contrenature du passé avec le PS) et les blessures narcissiques (celles du coup fourré des présidentielles avec Benoît Hamon).

la nécessité de s’affranchir des ancrages politiques historiques des gauches. Les urgences imposent que l’on ait confiance dans la conversion des partis « néo-écologistes » et dans leur renoncement progressif au productivisme. Le repli identitaire sur la pureté écologiste originelle n’est plus de saison.

la nécessité d’explorer et de clarifier, en interne, le flou idéologique de sa ligne politique, en choisissant entre écologie d’accompagnement et de transformation. EELV fait preuve d’un attachement à l’écologie d’accompagnement soit « par défaut », faute de pouvoir définir l’écologie de transformation, soit par tactique politique en appliquant l’adage « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » pour ratisser large.

4) Elargir le rassemblement politique aux citoyens

Les « 50 nuances de vert », la taxonomie des familles politiques et la mécanique des convergences entre partis, explorés ci-avant, parlent peu aux citoyens, même lorsqu’ils sont engagés dans des associations, mouvements sociaux, initiatives écologiques locales ou ZAD. Mais ils attendent un rassemblement et surtout un langage commun de la social-écologie. Un langage commun capable par exemple de rapprocher les Marcheurs pour le climat et les Gilets jaunes. Le Réseau coopératif EELV(***), comme d’autres coopératives, peut utilement contribuer à l’élaboration de ce langage commun.

L’appel au rassemblement de la social-écologie politique ne devrait pas venir d’un parti et sans doute pas non plus du monde des experts et des intellectuels. Il serait plus porteur s’il provenait de personnalités connues pour leur engagement dans l’action citoyenne, telles que par exemple Nicolas Hulot (où est-il exactement aujourd’hui?) ou Cyril Dion.

Enfin, une fois le rassemblement réalisé (rêvons), il faudra se préoccuper de la forme à lui donner et de la méthode permettant d’assurer un dialogue permanent entre organisations politiques et collectifs citoyens et de mobiliser la société : plate-forme, assemblée constituante, archipel, fédération ou autre. Une réflexion sur la forme et la méthode fera l’objet de notre dernier article en juillet prochain.

Patrick Salez

Coopérateur EELV

Poitou-Charentes

(*) Le sujet est aujourd’hui très controversé ; je considère que l’écologie ne se substitue pas au clivage traditionnel droite-gauche mais qu’elle le reconfigure dans un contexte d’urgence climatique et sociale. Et je continue à placer l’écologie à gauche, la considérant incompatible avec le néolibéralisme.

(**) Encore qu’il existe diverses catégories de décroissance.

(***) Le Réseau coopératif EELV est, aux côtés du Parti EELV, l’un des deux collèges composant le mouvement EELV.

Une réflexion au sujet de “Pour une révolution social-écologiste ! (2)

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