Des mots qui soient un peu plus clairs… Albert Camus disait que mal nommer les choses contribue au malheur du monde. Mal nommer les choses pourrait également contribuer au malheur de l’écologie politique. Il devient urgent, si nous voulons convaincre et mobiliser l’opinion publique, d’utiliser un langage commun et compréhensible par tous. Un langage contre-productif est par exemple cette propension à mettre le préfixe éco à toutes les sauces : éco-consommation, éco-responsable, éco-conception, éco-construction, etc. Avec une marge considérable dans le contenu écologique de ces mots, leur faisant perdre toute signification. Plus grave encore, trois termes passés dans le langage courant de l’écologie politique affichent un degré élevé de nébulosité.
1) Transition écologique :
- La définition tout d’abord : la transition est par nature (en physique) le passage d’un état à un autre et, donc, une trajectoire, un chemin vers une cible, vers un cap. La « transition énergétique », c’est assez clair : elle nous conduit vers des sources d’énergie non fossiles et décarbonées (seul le sort fait au nucléaire reste équivoque). Mais le terme de transition écologique, lui, n’évoque rien de la cible. Transition vers quoi, répondant à quel choix de société ? Vers une croissance verte, vers un nouveau modèle économique, vers la post-croissance ? Si l’on ne précise pas la cible, les mots transformation et mutation sont plus adaptés, car moins exigeants dans l’identification de l’état final.
- L’agent principal de cette transition ensuite : est-ce la sobriété dans l’utilisation des ressources, l’intégrité du Vivant, l’innovation technologique, l’équité sociale ? Chacun y mettra sa priorité.
- L’horizon temporel enfin : la transition est-elle en cours ou va-t-elle advenir ? Quelle est sa durée envisageable ? Lente évolution linéaire ou rupture ?
2) Résilience :
- La définition tout d’abord : le terme de résilience traverse un nombre impressionnant de disciplines, depuis la physique (un matériau élastique qui absorbe les chocs) jusqu’à la psychologie (merci à Boris Cyrulnik), puis la sociologie, l’anthropologie, l’économie, la politique et l’aménagement du territoire. Dans le jargon écologique, nos sociétés, nos organisations, nos territoires, l’économie se doivent d’être résilients. Une première difficulté est que l’écologie politique, systémique par nature, recouvre des contenus nécessairement différents selon la discipline concernée. La seconde difficulté est que le terme recouvre deux acceptions différentes : être résilient c’est, à la fois, surmonter un choc pour revenir à son état initial et rebondir après une crise pour aller vers un état moins vulnérable en faisant appel à l’auto-organisation et à l’anticipation. Cette notion, très utilisée dans la réflexion sur le monde de l’après-COVID 19, entretient donc une ambiguïté fondamentale : retour à la normale, au business as usual ou évolution vers une société nouvelle ? S’il s’agit de revenir à l’état initial, les mots résistance et robustesse sont plus appropriés. S’il s’agit d’aller vers un monde nouveau, les termes capacité d’adaptation et rebond sont plus indiqués.
- L’agent principal de cette résilience ensuite : le terme ne qualifie pas le choc auquel la résilience permet de faire face. S’agit-il d’un choc climatique, social, démocratique, d’une crise géopolitique, de tout cela à la fois ?
- L’horizon temporel enfin : quelle est la durée du changement d’état ? Dépend-elle de l’intensité de la perturbation subie ?
3) Effondrement :
- Les définitions tout d’abord sont multiples : fin de la fourniture des besoins de base (Yves Cochet), incapacité de la biosphère à offrir des conditions de vie acceptables, réduction drastique de la population humaine, chute des flux d’énergie, etc. Et l’effondrement, certes, mais de quoi ? de la civilisation thermo-industrielle, de la société, de la population occidentale, de certains écosystèmes ? L’objet est ambigu : s’intéresse-t-on aux principes et actions qui vont permettre d’échapper à une trajectoire d’effondrement ou à ce qui va permettre de rebondir après l’effondrement ? L’intensité du phénomène est inconnue : s’agit-il d’un écroulement partiel, d’une destruction dont on peut se relever, d’un anéantissement total ?
- Les causes de l’effondrement ensuite sont nombreuses. Desquelles s’agit-il précisément : épuisement d’une ou plusieurs ressources vitales (l’eau, les sols, le pétrole…), chute massive de la population, conflits géopolitiques, méga-crise financière ou sociale, pandémie, etc. ?
- L’horizon temporel enfin : s’agit-il d’un effondrement brutal à la suite d’une catastrophe, d’un lent déclin global (effondrement catabolique), d’un délitement progressif de certains pans de la société, d’un phénomène cyclique avec rebonds permanents ?
- Le terme ne devrait donc pas être utilisé seul mais être qualifié selon les éléments ci-dessus. Et on pourrait lui donner un sens dépourvu d’effets anxiogènes : celui de souligner l’extrême fragilité de nos modes de vie et la nécessité de repenser le monde et nos valeurs.
Ces trois termes génèrent d’autant plus de flou qu’ils sont liés. Dans notre lexique politique, la résilience s’inscrit dans la transition écologique : elle permet de survivre à l’effondrement tandis que la transition écologique est supposée nous permettre d’échapper à l’effondrement. Martine Aubry avait raison : quand c’est flou, y a un loup ! Abandonnons un instant nos principes naturalistes et chassons le loup. Clarifions les mots-clés de l’écologie car, plus que des mots, ils sont les instruments d’une doctrine politique. Travaillons sur notre matrice sémantique pour la rendre audible, lisible et appropriable par toutes et tous.
Tous les éco-commentaires de nos éco-lecteurs sont évidemment les éco-bienvenus ! A bon éco-entendeur salut !
Patrick Salez
Coopérateur EELV
Poitou-Charentes