« L’entrée au gouvernement de Nicolas Hulot donne un espoir de rupture »
Dans une tribune au « Monde », l’enseignante Agnès Sinaï estime que la présence de l’écologiste pourrait être l’occasion d’expérimenter une économie loin du modèle de croissance dominant.
LE MONDE | 22.05.2017 à 06h41 • Mis à jour le 22.05.2017 à 08h29 | Par Agnès Sinaï (fondatrice de l’Institut Momentum, journaliste et enseignante à Sciences Po, elle a codirigé, avec Mathilde Szuba, « Gouverner la décr…
TRIBUNE. A l’heure où la vie sur Terre est menacée par la généralisation du modèle consumériste, la nomination au gouvernement du lanceur d’alerte Nicolas Hulot pourrait représenter une lueur d’espoir dans la cécité ambiante.
Notre monde n’est plus celui d’hier, Nicolas Hulot le sait. Tous les sols de la planète sont contaminés par des radionucléides, des particules de plastique et des molécules toxiques, plus de la moitié des vertébrés ont disparu depuis quarante ans, nous sommes entrés dans un nouveau régime climatique où les forces colossales mises en jeu par les sociétés industrielles entravent jusqu’à l’horizon existentiel de l’espèce humaine.
Si ces tendances continuent, le système Terre pourrait bientôt basculer vers un nouvel état, très éloigné des conditions écologiques favorables et stables qui ont permis le développement des sociétés humaines depuis dix mille ans. Le risque d’effondrement est réel.
Le bon gouvernement, c’est l’écologie
Période de grande accélération liée aux « trente glorieuses » de l’après-1945, l’époque de l’Anthropocène introduit une discontinuité dans l’histoire de la vie sur Terre. Les sociétés productivistes concurrencent les forces telluriques : l’entrée en scène de la consommation et de la mobilité de masse dans les pays industrialisés s’est couplée à une forte hausse de l’extraction des matières premières et de l’empreinte écologique dans une dynamique exponentielle qui semble impossible à arrêter.
Et ce d’autant plus que cette grande accélération est encouragée par les gouvernements successifs qui se représentent l’évolution des sociétés sous la forme d’un progrès linéaire et continu, dicté par l’impératif de croissance, tout en pressentant le caractère déjà révolu d’une telle trajectoire d’« overshoot » (« dépassement »).
Face à cette menace, la sécurité collective passe aujourd’hui par l’édification d’une société en équilibre entre villes et campagnes, moins vulnérable, constituée de petits systèmes résilients. Le bon gouvernement, dont l’allégorie est représentée dans la splendide fresque d’Ambrogio Lorenzetti (1338) au palais municipal de Sienne, en Toscane, est celui qui se préoccupe de ses effets sur les corps et les espaces, les paysages et les ressources offertes par la nature. Aujourd’hui, le bon gouvernement, c’est l’écologie.
L’urgence est de réduire l’interdépendance des systèmes socio-techniques en mobilisant une grande requalification sur la base d’emplois locaux (et non pas low cost !) dans des manufactures fabriquant des produits de basse technologie (low tech) facilement appropriables et réparables, dans des systèmes de production d’énergie à petites échelles et dans des micro-fermes en permaculture, vecteurs de vitalité rurale.
Il faut relocaliser l’activité
L’heure est venue d’alléger nos pas sur la Terre, de relocaliser nos activités, de promouvoir la marche à pied, de décoloniser les imaginaires, de confronter l’économisme dominant à ses effets délétères.
Cette cohérence, sans laquelle aucune politique n’est crédible, passe par l’abandon de projets emblématiques tels que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui araserait irréversiblement un bocage intact, et le démesuré centre commercial de loisirs Europa City, dont la construction par Immochan, filiale du groupe français Auchan, et le groupe chinois Wanda Dalian est projetée en 2024 dans les plaines fertiles du nord de Paris.
Un plan d’aménagement qui occuperait 280 hectares dans la zone du Triangle de Gonesse, concentrerait près de 230 000 mètres carrés de commerces et accueillerait 31 millions de visiteurs par an, venus en RER ou en voiture sur des autoroutes déjà saturées, attirés par le parc des neiges prévu par le projet. Et avec pour compensation la création d’une ferme urbaine décorative sur sept hectares. L’emblème de ce qu’il ne faut plus faire.
Des initiatives de la société
Il n’est plus temps aujourd’hui de tenter de pactiser avec la colère d’une planète déréglée. Les mesures cosmétiques de la croissance verte n’y suffiront pas. La société est déjà « en marche » vers l’invention de nouvelles voies. Consciente de l’état d’urgence, elle élabore partout des initiatives.
La présence de Nicolas Hulot au gouvernement est l’occasion de faire valoir le droit à expérimenter ces issues en rupture avec le modèle « croissanciste » intempérant.
Au-delà des alternatives technologiques, ce dont il est question en amont, c’est d’une nouvelle posture ontologique. Les sociétés industrielles sont confrontées à la nécessité de se transformer par la mobilisation de nouvelles valeurs, qui inspirent une réforme des comportements.
Il ne peut y avoir d’existence joyeuse au milieu du désastre écologique. Il ne peut y avoir de réalisation de soi sans relation au lieu. Sans doute notre rapport au monde a-t-il été erroné ces dernières décennies. Nous n’avons pas compris ce que nous sommes en train de perdre. Nicolas Hulot sera-t-il l’idiot utile d’une vieille politique ou le héraut du monde désirable de demain ?