Michel Debré : l’élaboration de la Constitution de 1958

Michel DEBRÉ

L’élaboration de la Constitution de 1958. Entretien

Q. — Lorsque le général de Gaulle est revenu au pouvoir, en 1958, il a été immédiatement décidé de procéder à la révision de la Constitution. On savait d’ailleurs que c’était pour lui une condition sine qua non. Pouvez-vous nous dire, Monsieur le Premier ministre, comment s’est effectuée cette révision, et quel a été le rôle du Comité consultatif constitutionnel ?

R. — Le Comité consultatif constitutionnel n’est intervenu dans l’élaboration de la Constitution qu’à partir de la fin du mois de juillet et pendant environ trois semaines. Il a été appelé, alors, à donner un avis sur l’avant-projet de texte qui avait été préparé depuis le début du mois de juin.

C’est dire que ce n’est pas ce Comité consultatif qui a eu le rôle initial d’élaboration de la Constitution, mais d’autres instances. Je crois que, pour situer son intervention, environ sept semaines après le début des travaux constitutionnels,  il faut  d’abord retracer ces travaux antérieurs eux-mêmes.

C’est le samedi 31 mai que le général de Gaulle a réuni, à l’hôtel La Pérouse, les représentants d’un certain nombre de partis qui étaient prêts à le soutenir et qu’il leur a exposé les points qu’il jugeait essentiel d’introduire dans la future Constitution.

Ensuite, dans les trois jours qui suivirent, intervinrent l’investiture du général de Gaulle et de son gouvernement, puis le vote de la loi du 3 juin qui autorisait le gouvernement, selon une certaine procédure, à proposer au référendum populaire une nouvelle Constitution.

Dans les jours qui suivirent le vote de cette loi du 3 juin, on mit en place les instruments qui devaient permettre de préparer ce nouveau texte constitutionnel. Le général de Gaulle, en même temps, eut quelques entretiens précis avec moi-même afin de bien me faire connaître le détail de ses idées, et pour que je lui fasse part de mes propres suggestions à propos d’un certain nombre de dispositions sur lesquelles les réflexions n’avaient pas encore porté de façon approfondie. D’autres discussions en tète à tête eurent lieu pendant te déroulement des travaux.

A partir du 12 juin, j’ai réuni un groupe de travail qui a siégé plusieurs fois par semaine. Je le présidais moi-même, au ministère de la Justice, et il comportait un certain nombre de juristes choisis, soit en fonction de leur spécialisation dans les problèmes constitutionnels, soit parce qu’ils représentaient les principaux membres du gouvernement. Au premier chef de ces derniers, M. Raymond Janot, qui représentait le général de Gaulle au Cabinet duquel il appartenait alors.

C’est ce groupe de travail qui fut chargé de proposer les premières rédactions sur chacune des dispositions de la Constitution. Ces rédactions, au fur et à mesure, étaient soumises par moi au général de Gaulle et discutées, sous sa présidence, par un comité inter-ministériel qui comprenait, outre moi-même, alors Garde des Sceaux et ministre de la Justice, les ministres d’Etat, MM. Louis Jacquinot, Guy Mollet, Pierre Pflimlin, Houphouet-Boigny, le ministre des Finances M. Pinay, le vice-président du Conseil d’Etat qui était alors M. René Cassin, ainsi que le secrétaire général du gouvernement, M. Belin et le directeur du Cabinet du Général, M. Pompidou.

Le travail avança de la sorte jusqu’aux alentours du 14 Juillet, en alternant donc les réunions du groupe de travail, et la discussion en comité inter-ministériel des rédactions préparées par ce groupe de travail. Le travail technique lui-même fut achevé aux environs du 14 Juillet ; aussitôt après cette date commença, sur l’ensemble du premier avant-projet constitutionnel   qui   avait  été  ainsi   rédigé,   une série de nouvelles réunions, d’abord du comité inter-ministériel, puis d’un Conseil de Cabinet et d’un Conseil des ministres qui, finalement, adoptait le premier avant-projet — celui-là même qui sera soumis, fin juillet, au Comité consultatif constitutionnel. Ce premier avant-projet connu sous le nom de « cahier rouge » parce qu’il fut présenté au Comité consultatif constitutionnel sous une couverture rouge, est donc le premier texte sur lequel nous puissions nous fonder, bien qu’il ait été ensuite sensiblement remanié.

Donc, pour répondre à votre question, c’est sur la base d’un premier avant-projet que le Comité consultatif constitutionnel a travaillé entre le 29 juillet et le 14 août.

Je n’ai pas besoin de retracer les travaux du Comité, puisqu’ils ont été publiés : on peut en retrouver le cheminement, ainsi que les principales interventions qui furent faites devant le Comité par ses propres membres, de même que par le général de Gaulle qui, non seulement installa le Comité, mais, également, alla y répondre le 8 août aux principales préoccupations qui s’étaient manifestées, notamment sur l’article relatif à la nomination du Premier ministre, sur l’article 14, devenu plus tard l’article 16, relatif aux pouvoirs exceptionnels en temps de crise, et sur l’article 21 qui concerne les incompatibilités entre le mandat parlementaire et une fonction gouvernementale.

D’autre part, je fus appelé moi-même à donner des précisions ou à expliquer les motifs du gouvernement en ce qui concernait un certain nombre d’autres dispositions constitutionnelles. Pour le reste, c’est M. Janot qui répondit à chaque séance, au nom du gouvernement, sur l’ensemble des dispositions de la Constitution, tandis que M. Mamert exerçait les fonctions de secrétaire général du Comité consultatif constitutionnel, et M. Solal celles d’expert juridique du Comité.

 

 

Q. — Vous avez déclaré que le général de Gaulle était venu devant le Comité consultatif constitutionnel le 8 août et qu’en particulier il s’était expliqué sur un certain nombre de points. Les articles en question semblaient donc faire problème ? En particulier, il y avait, au premier chef, cet article 14 qui est ensuite devenu l’article 16. Quel était le problème de fond qui se posait à ce propos ?

R. — Le problème essentiel, c’était la profonde raison d’être de cet article, raison qui ne semblait pas évidente à tous les membres du Comité consultatif constitutionnel. Plusieurs d’entre eux se posaient la question de savoir si cet article ne présentait pas, pour l’avenir des institutions, plus de dangers qu’il n’offrait de garanties. Ce que le général de Gaulle est venu dire, c’est bien évidemment pourquoi il estimait indispensable que la nouvelle Constitution comportât un tel système qui permettrait de faire face à des périls très graves menaçant la nation et le fonctionnement des institutions.

 

Il a fondé ses explications sur trois exemples historiques à partir desquels il a montré que, faute dans les institutions d’une telle disposition, la nation a failli, dans certains cas, courir des dangers vitaux et, dans l’un de ces cas, en 1940, a effectivement sombré dans la situation que l’on connaît. Il a très justement, je crois, insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas tellement, dans l’esprit de cet article, de permettre au chef de l’Etat de prendre tel ou tel genre de mesures en cas de danger, mais de l’obliger à prendre toutes les responsabilités exigées par la situation. Il a su démontrer qu’il fallait faire une nécessité au chef de l’Etat de se sentir à certains moments le responsable suprême, le recours ultime du pays, pour faire face aux événements. L’exemple du mois de juin 1940 a été singulièrement frappant à cet égard, et on peut penser d’ailleurs que c’est bien cet exemple,… que le général de Gaulle avait vécu d’une façon particulièrement intense, qui est principalement à l’origine de l’article 14, devenu l’article 16 de notre Constitution.

Le général de Gaulle a rappelé dans son intervention que, aux pires moments dont nous sommes en train de parler, le président de la République d’alors, M. Albert Lebrun, aurait souhaité (et c’est une confidence qu’il a faite par la suite au général de Gaulle), parce qu’il pensait bien que c’était la solution la meilleure, que le gouvernement allât en Afrique du Nord par exemple, en tout cas en dehors du territoire métropolitain, pour essayer de continuer la lutte avec les moyens qui lui restaient et qui ne pouvaient être que des moyens extérieurs à la métropole. Seulement, dans ces heures dramatiques, M. Lebrun avait estimé que la Constitution de 1875 ne lui permettait pas de faire autre chose que de désigner le président du Conseil qui se montrerait capable de réunir un certain consensus parlementaire sur son nom, et cette Constitution, donc, non seulement ne lui faisait pas un devoir de prendre toutes les mesures que nécessitait la situation mais même, pratiquement, lui interdisait de prendre toutes les initiatives tant soit peu importantes qui auraient été à la mesure des événements de l’époque.
Le général de Gaulle, quant à lui, a pensé qu’il fallait que les institutions, dans une hypothèse analogue, obligent le président de la République à laisser de côté les procédures ordinaires, suffisantes en temps normal, et à prendre sous sa seule responsabilité, face à l’Histoire, face à la Nation, les dispositions que les circonstances imposeraient. C’est donc bien sur ce caractère de responsabilité suprême, de devoir national imposé au chef de l’Etat, que le général de Gaulle a alors insisté devant le Comité consultatif constitutionnel. Il faut croire d’ailleurs qu’il l’a fait d’une façon convaincante puisque le Comité a adopté l’article en litige — avec un certain nombre de précautions qu’il a proposé d’introduire dans la rédaction. Mais, enfin, il a adopté l’esprit et l’essentiel de l’article qui lui était présenté. Quant à ces dispositions complémentaires que le Comité a introduites, elles ont été, pour l’essentiel, retenues par le gouvernement, et elles figurent dans le texte actuel de l’article 16.

 

 

Q. — Vous venez de mettre particulièrement en valeur la notion de responsabilité du chef de l’Etat, du président de la République. Or, quelques-unes des personnes qui ont participé aux travaux du Comité consultatif constitutionnel, ont prétendu depuis que, à leur avis, la Constitution de 1958 avait toujours été une Constitution d’essence parlementaire. Pourtant, à travers vos considérations sur le chef de l’Etat, il semble bien évident que l’esprit de la Constitution veut que le président de la République soit, au sens propre du mot, le responsable de la France.

R. — Il est certain qu’il existe dans la Constitution des mécanismes que l’on retrouve dans un grand nombre de régimes parlementaires, par exemple, ce qui concerne notamment le vote des lois aussi bien qu’un certain nombre de dispositions concernant les rapports entre le gouvernement et l’Assemblée nationale.

Mais, ces éléments de régime parlementaire viennent en second, et dans le cadre d’un ensemble qui est d’abord un système — que je ne voudrais pas qualifier de présidentiel, parce que les professeurs de droit ont l’habitude de donner à ce mot un certain contenu qui n’est pas du tout le nôtre — mais un système essentiellement fondé sur la responsabilité éminente du chef de l’Etat. En somme, il s’agit d’un régime mixte qui n’entre dans aucune des catégories  juridiques  exposées  par  les professeurs de droit.

C’est une construction originale.

Certes, on ne la retrouve pas dans les autres pays. Mais en fait, quand on s’abstrait des livres et de leurs classifications doctrinales, on constate que chaque pays a son type particulier de constitution. Pourquoi, a priori, refuser que l’on ait pu mettre au point et organiser en France, en 1958, un système qui différait de ceux que l’on peut voir exposés dans tel ou tel manuel, ou pratiqués dans tel ou tel autre pays ? Pourquoi refuser l’idée d’une construction neuve, non point théorique, mais répondant d’abord au tempérament national, et aux exigences de ce peuple très particulier qu’est le peuple français ?

De toute façon, dans cette Constitution que nous avons élaborée, dès le texte de 1958 et avant même la réforme fondamentale de 1962, ce qui était fondamental, c’était la responsabilité du chef de l’Etat. Ceci ressort très exactement de l’article 5 de la Constitution, article qui avait été rédigé dès le début des travaux constitutionnels, dans une forme très semblable à celle qu’il aura à la fin de ces travaux, et donc au texte qui sera définitivement adopté au référendum du 28 septembre 1958. C’est ce texte qui est fondamental. Il est par ailleurs complété par un certain nombre de mécanismes qui en sont l’illustration. Ce texte affirme bien par lui-même que les responsabilités essentielles sont celles du chef de l’Etat. Il suffit de le lire pour le constater. Il déclare : « Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat.

« Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des accords de Communauté et des traités. »

On ne peut être plus clair. Cet article, est en outre, comme je le disais tout à l’heure, complété par un certain nombre de mécanismes, qui mettent en œuvre certaines des responsabilités du chef de l’Etat et qui ne peuvent laisser place à aucun doute sur la prééminence de celui-ci.

Il s’agit de mécanismes fondamentaux :

• la dissolution — qui est une responsabilité du seul chef de l’Etat, quels que soient les avis dont il ait dû s’entourer préalablement.

•    le référendum — qui est également une responsabilité relevant en dernier lieu de la décision du seul chef de l’Etat, quels que soient les avis ou propositions qui aient dû précéder sa décision. L’article 11 porte bien d’ailleurs : « Le président de la République… peut soumettre au referendum… », ce qui démontre qu’il a le droit d’accepter ou  de refuser ce qui  lui est proposé, et que la décision ultime, en fin de compte, relève uniquement de sa personne.

•    l’article 16 — dont nous avons parlé et qui, évidemment, ne concerne que des
époques,  des  périodes  exceptionnelles ;

et enfin, d’un certain nombre de dispositions moins importantes, mais qui sont, je crois, très significatives.

Q. — Parmi les prérogatives essentielles du chef de l’Etat, vous avez parlé de l’usage du référendum. Or, vous savez combien cet usage a été controversé, et j’aimerais que vous puissiez nous donner un peu plus de lumière à ce sujet.

R. — Il  ne semble plus opportun, aujourd’hui, de revenir sur une discussion juridique qui a été amplement poursuivie, notamment en 1962 puis en 1969, à propos des deux référendums qui ont eu lieu à ces deux dates.

A mes yeux, ce qu’il convient de dire d’essentiel, c’est que le général de Gaulle a présenté son idée du référendum dès la réunion initiale avec les représentants des groupes politiques — cette réunion du 31 mai à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure. Dès cette réunion, et reprenant des conceptions qu’il n’avait jamais cessé d’exposer depuis le discours de Bayeux du 16 juin 1946, le général de Gaulle a très fortement insisté sur le rôle du référendum dans les nouvelles institutions. Le seul souci, ensuite, a été simplement d’éviter que le référendum devînt un instrument auquel on aurait pu avoir recours à propos de n’importe quelle disposition législative secondaire.

 

L’important était (et ce furent les préoccupations des rédacteurs de l’article 11 qui lui est relatif) de bien indiquer que ce moyen, évidemment assez exceptionnel, devait être à la disposition du président de la République pour des cas eux-mêmes exceptionnels, c’est-à-dire pour ce qu’il pouvait y avoir d’essentiel dans l’organisation des pouvoirs publics, ou dans le choix de certaines options fondamentales en matière internationale. C’est là l’idée centrale. Et c’est en se référant à cette idée, qui avait toujours été sienne tout au long de l’élaboration de la Constitution, que le général de Gaulle a décidé d’appliquer l’article 11 relatif au référendum, lorsque s’est posé te problème fondamental de la modification du mode d’élection du président de la République, et de l’introduire dans ce système du suffrage universel. Cette modification, d’ailleurs, je le répète, a profondément, non pas transformé la Constitution, mais accentué et définitivement fixé le rôle et la responsabilité éminente du chef de l’Etat.

 

 

 


Q. — Vous venez de parler du référendum du 28 octobre 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel et, tel que vous l’avez présenté, on a en effet l’impression que la réforme constitutionnelle qui était ainsi proposée au peuple français découlait logiquement de la conception affirmée du rôle du chef de l’Etat. Dans ces conditions, pourtant, pourquoi, en 1958, n’avait-il été prévu qu’un collège électoral qui avait été très élargi par rapport au collège électoral présidentiel des IIIe et IVe Républiques mais qui, en fait, demeurait tout de même extrêmement restreint ?

R. — La question ne se posait pas en 1958 comme elle a pu se poser en 1962. En 1958, il n’était pas possible d’envisager une élection au suffrage universel. A l’époque la notion de « Communauté » avait recueilli le soutien d’un grand nombre de personnalités, au premier rang desquelles des hommes comme M. Houphouet-Boigny, alors membre du gouvernement, M. Senghor, M. Tsiranana, etc. Comme nous, ils mettaient beaucoup d’espoir dans cette nouvelle forme de rapports politiques qui devaient permettre une très grande autonomie aux nouveaux Etats nés de la transformation des territoires d’outremer et assurer l’unité de l’ensemble grâce à une clé de voûte, le président de la République, président de la Communauté.

Il fallait donc que celui-ci fût, dans des conditions analogues, l’élu de la France métropolitaine et de l’ensemble des futurs Etats de la Communauté. Dès lors, le suffrage universel était impossible. Et le seul problème était celui du collège électoral que chacun voulait élargir. C’était déjà une révolution que de passer d’un collège électoral inférieur à un millier de personnes à un collège électoral d’environ 100 000 électeurs.
Q. — Un second point sur lequel le général de Gaulle est Intervenu devant le Comité consultatif constitutionnel était celui des incompatibilités entre les fonctions ministérielles et la fonction parlementaire. Il était extrêmement net à ce propos, et on a même dit que le général de Gaulle, à l’a limite, aurait été favorable à l’extension de cette notion d’Incompatibilité ; que pouvez-vous nous en dire au juste ?

R. — Ce que l’on peut constater par les déclarations, qui ont été publiées depuis, du général de Gaulle devant le Comité consultatif constitutionnel, c’est qu’il a effectivement été très net sur ce point, même s’il n’a pas réussi, dans cette affaire particulière, à convaincre la majorité des membres du Comité consultatif constitutionnel, qui avaient mal admis alors l’incompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions gouvernementales. Je rappelle néanmoins, c’est un peu oublié aujourd’hui, que cette disposition, qui n’apparaît pas fondamentale dans les nouvelles institutions, a été l’une de celles qui ont sans doute, à l’époque, le plus séduit l’opinion publique.

 

C’est certainement l’une des dispositions de la Constitution qui ont paru les plus naturelles à la grande majorité de l’opinion publique française. Pourquoi ? Parce que cette mesure traduisait bien l’esprit de plus grande rigueur que nous voulions imposer et ce refus de mélanger les genres qui a été l’une des idées-force de cette révolution institutionnelle que représente en fait la Constitution de 1958. Il s’agissait en somme par ce texte, et au-delà de ce texte, de bien marquer que ceux qui, comme ministres, partagent avec le président de la République les principales responsabilités de ce que l’on nomme improprement le pouvoir exécutif — et que l’on devrait nommer le pouvoir de direction de l’Etat — que ceux qui, donc, partagent cette responsabilité, ne peuvent pas exercer en même temps un mandat parlementaire qui, pour une part, les amènerait à être les contrôleurs des membres de gouvernement qu’ils seraient par ailleurs.

Vous voyez là que c’est un souci de clarification, et je dirai même d’assainissement, qui était marqué par cet article, au-delà même de l’importance du mécanisme qui était ainsi institué. C’est pour cette raison précise que le général de Gaulle insista beaucoup devant le Comité consultatif constitutionnel. Mais il ne faut pas oublier qu’il y avait insisté dès le premier jour, dès la première réunion sur le futur projet constitutionnel, parce qu’il y attachait une importance à juste titre fondamentale.
Vous m’avez demandé en outre si le général de Gaulle aurait été favorable à une extension de cette incompatibilité. Je réponds : oui. Il l’avait envisagée, et moi-même d’ailleurs, j’aurais été favorable à ce que cette incompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions gouvernementales fût également étendue à d’autres mandats électifs de sorte que les ministres se consacrent uniquement aux affaires du gouvernement. J’ai même proposé l’incompatibilité entre la fonction de député d’une part, et de maire d’une grande ville d’autre part. La même incompatibilité n’aurait pas joué pour le mandat de sénateur. Le général de Gaulle en avait accepté le principe mais, devant l’opposition des ministres, j’ai retiré ma proposition. Je crois, cependant, que j’avais raison.

 

 

 


Q.— Quand on compare le texte de la Constitution de 1958 aux grands thèmes constitutionnels qu’avait défendus le général de Gaulle depuis le discours de Bayeux, on constate que, pratiquement, tous ces thèmes ont débouché — sauf un, qui semble particulièrement absent, et qui est celui de la réforme de ce qui s’appelait alors le Conseil de la République et qui est redevenu le Sénat en 1958. On n’a vu réellement réapparaître ce thème qu’à partir du discours de Lyon et ensuite, évidemment, lors du référendum de 1969.

Est-ce que ce problème avait été volontairement mis entre parenthèses en 1958 ou bien le général de Gaulle s’était-il alors heurté à des obstacles qu’il lui avait semblé difficile de surmonter à cette époque ?

R. — Il est hors de doute que le général de Gaulle a envisagé dans les tout premiers jours de son retour au pouvoir, en 1958, de procéder à la réforme de la seconde Assemblée — réforme qu’il avait annoncée dans son discours de Bayeux en 1946 et qu’il a tenté de faire passer dans les faits en 1969.

Il était persuadé, c’est certain, que la seconde Assemblée devait comporter des représentants des collectivités territoriales de la République et des représentants de ce qu’on appelle couramment les forces vives, c’est-à-dire les forces économiques et sociales du pays.

Il pensait que c’est de la réunion de ces représentants, de ces deux catégories de représentants, que devait procéder la composition de la seconde Assemblée et que c’est ainsi qu’on donnerait une plus grande importance à celle-ci.

Toutefois, en 1958, le général de Gaulle ayant rencontré certaines objections, estima que la composition de la seconde Assemblée n’était pas le problème essentiel du moment et n’insista donc pas.

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