En sachant que même chez nos militants les sirènes de l’écologie à la sauce du progressisme conservateur risquent d’en attirer un certain nombre, qu’arrivera-t-il si l’espace que nous occupons perd toute visibilité ?
Une écologie pragmatique
En 2015 apparaissait le « collectif nouvelle écologie » qui s’engageait pour une écologie patriote et qui était soutenu, à l’époque, par le Rassemblement Bleu Marine de Marine Le Pen.
Depuis, une partie de la société civile, accoquinée avec les tenants des politiques conservatrices, s’est saisie du sujet et pratique « une écologie pragmatique » ; cela doit nous interpeller en tant qu’acteur de la promotion de l’écologie politique et nous obliger à réfléchir sur nous même ….. Sinon se posera dans quelques temps la question d’accord de gouvernance avec des représentants du Rassemblement national qui ont été eux aussi, il y a quelques années, contre l’aéroport de Notre Dame des Landes, pour la production locale, contre les OGM, contre le traité TTIP.
Dorénavant représentés à l’assemblée nationale, le Rassemblement national et leurs affidés risquent de paraître incontournables comme en Camargue où l’urgence environnementale a pu laisser penser à certains de nos responsables écologistes que ces élus (qui ne sont pas de délégation territoriale mais nationale) avaient toute leur place comme interlocuteurs privilégiés. Cette analyse qui ressemble à une faute politique des responsables EELV renforce le sentiment porté par ces élus conservateurs pourtant peu soucieux de la gestion des « communs » du « vol » que nous ferions de l’écologie et tend à nous invisibiliser par une appropriation détournée de nos engagements, de notre identité.
Le texte qui suit est une participation à la réflexion sur cette situation et tente de proposer une piste sur ce qui, dans notre conception de la société, mène à une différenciation suffisamment solide des deux paradigmes politiques actuels : l’Ecologie politique et la politique « écologique » du Rassemblement national et de tous les conservatismes.
Le début, l’humain devient le roi du monde
Nos ancêtres ne pouvaient pas faire autrement que de rester humbles vis à vis de la nature. Pendant plusieurs siècles, ils surent la subir, s’en accommoder, s’en servir sans la bousculer.
Et puis il y eut la révolution industrielle alimentée par les stocks d’énergies fossiles accumulées dans les sols depuis des millénaires. L’espèce humaine pouvait ne plus subir, elle était riche de charbon de pétrole de gaz et pouvait enfin imposer sa loi.
A partir des années 1950, on assiste à l’émergence d’une conscience des déséquilibres écologiques provoquée par cette ivresse énergétique ; inconsciemment, s’installait chez les plus clairvoyants, le sentiment de fragilité et de perte de richesse qu’entraine systématiquement sur Terre la domination par une espèce.
Inventer pour résister
A cette époque, une frange de population, mal à l’aise avec ce déséquilibre écologique, se raccroche à un monde rural fantasmé qui vient de disparaitre mais encore suffisamment présent dans les esprits et qui s’impose comme modèle de résilience rassurant et protecteur.
La marginalisation sociétale d’une telle pensée pousse ces individus à se construire une identité forte, aux influences complexes et diverses, autonome dans l’esprit et multiple dans ses liens à l’image d’un monde plus équilibré territorialement qui avait disparu.
Cela donne à cette époque les communautés multiformes qui recherchent une autonomie de fonctionnement à travers la sobriété en énergie et un retour à la nature. On lit le guide de l’anti-consommation, Reiser diffuse une culture du Solaire et de la maison autonome, René Dumont concrétise la nécessité d’une place de la réflexion écologique dans le fonctionnement de nos sociétés, des associations écolos fleurissent un peu partout pour permettre à leurs membres de s’entraider dans cette démarche.
Dans ce milieu, économiquement il y a un rejet du capitalisme et du marché, socialement on est proche du mouvement anti utilitariste dans les sciences sociales qui a donné le convivialisme, culturellement on pense que la nature est un bien commun inaliénable.
Le besoin de convaincre
Malgré tout, ce qui voudrait être un modèle sociétal qui donne envie n’arrive pas à diffuser et le besoin de convaincre les autres s’impose.
Alors vers la fin des années 1980 nait un ensemble d’actions environnementales qui sont à la fois la condition et le produit du paradigme écologique. On ne cherche pas à donner envie mais à prouver que la raison est là.
Fleurissent alors les associations de protection de l’environnement, les évaluations environnementales, les analyses de cycle de vie. La protection oublie le respect, l’évaluation devient la vérité, l’analyse environnementale devient le piège pour l’écologie sous couvert d’environnementalisme. Ce qui devait simplement objectiver une certaine forme de subjectivité devient la loi.
Environnementalisme qui sait composer avec l’économie capitaliste et le marché, qui sait oublier l’intérêt des rapports humains et qui culturellement donne le pouvoir à l’industrie de contrôler la nature qui devient alors aliénable.
L’environnementalisme devient un outil d’apprenti sorcier de contrôle et de maîtrise de nos communs au travers de leur financiarisation. Le principe de précaution devient une culture du risque avec sa cohorte d’assurances, l’humain responsabilisé est sommé de devenir un éco-citoyen normé au service du contrôle de la nature en s’abandonnant lui même.
Le retour à l’écologie politique
Engluée dans un environnementalisme au service d’intérêts où la nature et l’humain ont peu de place, l’Ecologie politique tente depuis une vingtaine d’années de relever la tête, mais le travail est rude. Elle dénonce le green washing, mais retrouver une voie qui nous fasse sortir de l’anthropocène mortifère pour l’humain demande de trouver des radicalités fortes sur des urgences incontestables.
Et en premier lieu, comment faire exister différemment cette population qui a un sentiment de non être et qui se tient sur la défensive ? – cette population dont l’identité propre est réduite au profit d’une identité collective telle que l’identité nationale, l’identité religieuse mais aussi celle construite par une « pensée unique environnementaliste » ne remettant pas en cause la nécessité d’un monde émancipé, d’une nature respectée et de la réalité des générations futures.
En premier lieu retrouver notre identité d’individu
L’image que nous avons de nous même, notre identité résulte d’une activité incessante, certains diront de différentiation, mais surtout de confrontation et de mélange.
Cela rend indispensable de prendre du temps dans nos actions et décisions pour s’approprier l’expérience et l’expertise … pour que par exemple la permaculture ne devienne pas l’application stricte de recettes mais un chemin vers l’assimilation et la connaissance pratique du terrain qui va porter des objectifs de culture et de vie.
Réguler par un environnementalisme des communs
Notre identité a tendance à se créer au travers de la consommation qui englobe désormais aussi toutes les dépenses contraintes. Elle enferme l’individu qui se construit en tant qu’œuvre n’interférant qu’avec elle-même. Les grands régulateurs sont le marché et l’État qui se sont construits au détriment des équilibres écologiques.
Rechercher d’autres régulateurs, plus proches de l’humain et de la nature, est une priorité pour que notre identité ne soit plus une identification numérique ou non mais une reconnaissance sociétale qui crée une appartenance à la planète qui nous porte…
Les circuits courts uniquement comptables, sans dimensions sociale et environnementale, n’ont rien à voir avec une économie de proximité, de toutes les proximités et de toutes les luttes et confrontations dans un monde en transition.
D’une autre manière, vouloir rétablir une certaine naturalité dans les villes, c’est concevoir un urbanisme où les territoires sont prêts à construire des équilibres en lien avec leurs approvisionnements en eau, en nourriture, en services et dans tous les domaines culturels … et cela sans se contenter d’être seulement autonomes en énergie comme les opérations de « territoires à énergies positives » qui ne remettent pas en cause un aménagement dédié au productivisme.
Pour cela il nous faut sortir systématiquement d’une pensée où l’aliénation du bien commun est permise et où sa naturalité n’est pas respectée. Que cela soit chez nous ou dans les terres lointaines.
Christian OLIVE