J’entends chacun proposer ses solutions pour refonder l’écologie politique. Pour ma part, je préférerais une politique écologique qui décide en respectant les lois de l’écologie plutôt qu’une écologie politique que beaucoup entendent être l’art d’utiliser l’écologie pour se placer en politique.
Oui, l’écologie est d’abord une science dont on a découvert les lois, celles qui ont réussi à faire cohabiter depuis la nuit de temps des espèces fort différentes de plantes et d’animaux, même dans des conditions extrêmes avec de rares disparitions, sauf accident majeur géologique ou extérieur à la planète.
Par le mépris de ces lois, notre civilisation a provoqué l’actuelle extinction massive d’espèces, mais aussi les extinctions moins remarquées, mais tout aussi réelles, de peuples, de civilisations, de langues, de cultures… N’est-ce pas ce même processus d’extinction qui s’étend aussi aux entreprises, aux mouvements politiques et associatifs ? J’observe depuis des années le déclin des partis, syndicats et associations, et, comme tous les autres, EELV subit ce phénomène. J’en ai cherché la raison et, à chaque fois, j’ai l’impression d’en déceler ces mêmes causes :
- Les acteurs.
L’individualisme, la concurrence, la compétitivité, les egos, la volonté d’unité rejetant toutes originalités et innovations…
- Les priorités de groupe.
Celle de la stratégie sur le projet : le pragmatisme remplace l’éthique, la survie du groupe devient prioritaire sur son but, la dictature du quantitatif sur le qualitatif…
- Les méthodes.
La recherche du « toujours plus » remplace le « toujours mieux » ; le rejet de la compétence, soupçonnée d’être une volonté de prise de pouvoir ; les luttes intestines entre courants ; le désir de tout figer par des chartes, des statuts, des règles…
- L’exigence d’unité.
Conséquence du rejet des différences, la négation de la critique, considérée comme source de divisions.
Alors, si nous voulons reconstruire un mouvement défendant l’écologie, ayons au moins l’idée d’appliquer les règles que nous propose cette science, puisqu’elles ont réussi à faire cohabiter depuis toujours et plutôt efficacement des espèces de toutes tailles, de toutes vélocités, agressives ou pacifiques.
L’écologie est d’abord une science.
Elle a découvert les lois ayant construit l’équilibre de la nature, oubliées de notre civilisation, d’où le désastre en cours. Alors, comprenons ces lois pour les appliquer à nous-mêmes, et notre action aura des chances de survie et prouvera en plus la justesse de nos idées. Et, c’est par l’exemple que nous pourrons les proposer à notre société. Pour moi, ces lois offrent des réponses claires pour nos institutions, comme pour notre économie.
Quelles sont les lois de l’écologie, et comment les mettre en pratique ?
En voici quelques unes, mais étant issues que de mes réflexions personnelles, ces recherches nécessiteraient un travail collectif.
Diversité.
Plus les espèces sont nombreuses et variées, plus la communauté de toutes et de chacune se porte bien.
Application économique.
Il faut stopper les grands trusts, supprimer les normes imposées, favoriser la prolifération de petites entreprises variées dans tous les secteurs économiques.
Application politique.
Un gouvernement ne peut faire du bon travail s’il est dépendant d’un seul parti.
Application interne.
Il faut laisser s’exprimer toutes les tendances et construire leur cohabitation au lieu de n’en choisir qu’une seule au nom de l’unité, faisant des minoritaires autant de freins à l’action.
Prédation.
Toutes les espèces vivantes connaissent des prédateurs et sont en général prédatrices d’une autre espèce.
Application économique.
Aucune entreprise ne doit être à l’abri d’une concurrence. C’est ce que proclame le libéralisme, mais il fausse le jeu par des outils monétaires et des pressions juridiques ou politiques.
Application politique.
Aucun pouvoir ne peut exister sans un contrepouvoir efficace. Une république devrait être organisée en cinq pouvoirs réellement indépendants, en nommant et ajoutant le pouvoir économique (le travail, la monnaie, la production) et le pouvoir médiatique (imagination et logos : sciences, art, éducation, médias) pour ne pas les laisser sans contrôle.
Application interne.
Chaque rôle d’un des acteurs du groupe doit pouvoir être contrôlé et doit lui-même contrôler un autre acteur. Aucune instance de peut s’émanciper de toutes les autres. Il faut séparer les pouvoirs dans chaque instance.
Équilibre.
Règle essentielle en écologie : un prédateur trop efficace meurt de faim en éliminant toutes ses proies ; s’il est trop peu efficace, il meurt aussi, faute de pouvoir se nourrir. L’antilope doit courir aussi vite que son prédateur.
Application économique.
L’économie n’est pas la recherche du rendement maximal, mais celle de l’équilibre des échanges, nécessaire pour assurer leur pérennité. Toute la différence entre le joueur de poker qui, ayant tout raflé, doit changer de table et celui de la bataille qui peut ne jamais finir s’il y a beaucoup de cartes.
Application politique.
Chaque définition d’un pouvoir doit prévoir la mise en place d’un contrepouvoir, exactement l’inverse de ce qu’a fait l’Europe avec le MES (Mécanisme européen de stabilité, en finance). Ce que font d‘ailleurs toutes les dictatures.
Application interne.
Si une compétence est confiée à un groupe ou une personne, il faut toujours confier à un autre groupe ou personne le devoir de le contrôler. Ni méfiance, ni confiance, juste contrôle. Ainsi tous auront confiance en tous.
Sélection naturelle.
Quand plusieurs animaux sont agressés par un prédateur, c’est le plus faible qui est attrapé, améliorant l’ensemble de l’espèce, en sélectionnant ainsi les critères les plus efficaces, ce qui améliore l’équilibre entre espèces cité plus haut.
Application économique.
Une entreprise en difficulté ne doit pas être forcément sauvée, au risque de lui offrir une survie et de la laisser transmettre ses propres erreurs. Il est plus utile de comprendre son échec pour expliquer aux autres entreprises. Exemple : en cas de famine, l’apport gratuit de nourriture coule économiquement le paysan qui a produit malgré la sécheresse grâce à son meilleur travail, tout en favorisant la survie de ceux qui n’ont pas fait l’effort nécessaire. Sans cette aide le paysan le plus efficace aurait fait fortune et servi d’exemple. Oui, c’est dur mais logique.
Application politique.
Si un groupe ou une tendance est en difficulté, mieux vaut comprendre ses difficultés pour les éviter que vouloir à tout prix assurer sa survie. Aucune loi ne doit donc favoriser l’un au détriment de l’autre, même pour la bonne cause. Si nous voulons lutter contre le chômage, il ne faut surtout pas de zones franches ou de lois de faveur visant telles catégories de population (une forme de mépris) mais des lois qui accordent à tous sans distinction un revenu minimal.
Application interne :
Il n’existe pas d’action ou de personnes à protéger. L’échec d’une action doit être analysé pour servir à tous au lieu d’être oublié de honte. Comprendre le militant qui nous quitte est plus important que séduire celui qu’on recrute.
Adaptation, évolution.
Une espèce animale adaptée à son milieu n’évolue pas. Ce n’est que lorsque le milieu change qu’une espèce évolue.
Application économique.
Une entreprise ou une activité qui fonctionne bien ne doit pas être réformée, même pour la satisfaction d’un chef qui veut laisser sa marque. Inversement, si l’environnement change, il ne faut surtout ne pas rester figé dans des habitudes qui deviendront inadaptées.
Application politique.
Ce n’est pas parce qu’un nouveau venu a des envie de réforme qu’il faut modifier une politique qui fonctionne. Inversement il ne faut pas vouloir à tout prix conserver une pratique politique sous prétexte qu’elle a fait ses preuves. Seul un changement de contexte peut changer une pratique.
Application interne.
Pas facile de s’adapter à une situation nouvelle, surtout pour celui qui, ayant acquis des responsabilités, considère son remplacement comme une déchéance. Inversement, modifier une règle par simple réflexion théorique risque de casser une pratique qui fonctionne. Difficile de choisir entre l’efficacité connue de l’habitude et l’aventure nécessaire du changement. Mais garder la même pratique dans un contexte nouveau est une faute cause d’extinction.
Écosystème.
Suivant l’échelle d’observation d’un écosystème, les espèces et les règles ne sont plus les mêmes.
Application économique.
Suivant le nombre d’acteurs économiques mis en jeu, les règles économiques peuvent être différentes. Une monnaie locale, adaptée aux spécificités des échanges locaux, doit pouvoir cohabiter avec une monnaie nationale.
Application politique.
Une loi dépend de l’espace où elle s’applique. Exemples : les règles de circulation d’une métropole ne sont pas celles d’un village, celles concernant un État ne sont pas toujours adaptées à une vallée locale. Chaque gestion territoriale peut avoir des compétences et des lois spécifiques.
Application interne.
Un groupe local ou une instance d’action doit pouvoir se choisir ses règles de fonctionnement dans la mesure où elles ne contredisent pas les autres lois énumérées ci-dessus.
Transmission.
Les espèces vivantes transmettent à leur descendance les caractères et les comportements qu’elles ont acquis.
Application économique.
Une entreprise qui disparait doit pouvoir transmettre ses outils, son savoir, ses compétences, y compris la compréhension de ses échecs, et ne jamais être effacée du jeu économique par simple procédure juridique. Au lieu de chercher à vendre à tout prix, le rôle de l’entreprise devrait être en priorité de transmettre ses acquis par l’apprentissage, la publication de ses savoirs. Un brevet doit être limité au strict nécessaire retour sur investissement. Acquérir un brevet pour éviter une concurrence devrait être formellement interdit.
Application politique :
La formation, l’instruction publique, enseigner l’histoire de ses réussites et de ses échecs devrait être une des priorités d’un pouvoir politique.
Application interne.
On ne devrait jamais sortir d’une réunion sans avoir le sentiment d’avoir appris quelque chose.
Reproduction.
Les êtres vivants se reproduisent quitte à perdre leur place au profit de leur descendance.
Application économique.
Une entreprise doit favoriser la création de nouvelles entreprises en offrant ses compétences, ce que font par exemple les franchises dans les actes, mais, contrairement aux animaux, elle ne le fait que pour en toucher des profits, grevant non seulement leur réussite, mais en brimant aussi leur liberté d’action.
Application politique.
Laisser émerger de nouveaux partis ou de nouvelles tendances est un signe de bonne santé politique. Ce n’est pas en les brimant que nous ferons du bon travail, mais en leur donnant tous les outils qui nous ont permis de réussir.
Application interne.
Ce n’est pas grave quand un nouveau groupe nait et se sépare de nous. Et même sa réussite signifie que nous avons su transmettre de belles valeurs.
Solidarité.
Les espèces vivantes pratiquent entre elles une solidarité allant jusqu’à la symbiose. Certaines espèces aident des individus d’autres espèces en difficulté.
Application économique.
Quand une entreprise concurrente est en difficulté, il ne faut pas en profiter pour l’achever mais au contraire l’aider à assurer sa survie. Une entreprise ne doit pas être évaluée par la réussite financière de ses propriétaires, mais par son utilité pour l’ensemble de la société.
Application politique.
La politique ne vise pas à faire réussir son pays au détriment des autres pays, mais au contraire doit chercher à assurer leur réussite interne et externe, pour éviter d’entrer en conflit avec eux. On observe souvent qu’un conflit est utile à des dirigeants pour écarter une opposition interne par la mise en avant d’un ennemi commun.
Application interne.
Il n’existe pas d’incompétents mais seulement des gens qui n’ont pas été mis à la bonne place. Il n’existe pas de mauvais militants, il existe seulement des gens qui ont été trompés par des idées que nous jugeons fausses. Aidons-les à ouvrir leur réflexion au lieu de les combattre. Si cela se trouve, c’est nous-mêmes qui sommes dans l’erreur et ils sauront nous le montrer.
Voilà des pistes pour mettre en cohérence politique et écologie.
Alain Persat,
Coopérateur EELV
Provence-Alpes-Côte d’Azur