La stratégie de l’État français n’a pas changé d’iota depuis des années. Elle consiste à se déresponsabiliser et se déculpabiliser d’une situation qu’il a bien commise illégalement et honteusement il y a 165 ans déjà. Comme dirait un grand-père, « mais, les blancs là (l’État français), ils sont entrés chez nous comme des voleurs (par infraction) et ne sont pas corrigés pour ça (n’est pas jugé pour cela) … »
Au-delà de la repentance, les traités signés depuis étaient censés réconcilier et réparer le traumatisme subi par le peuple kanak. Or, sous prétexte de responsabiliser les calédoniens en vertu de l’Accord de Nouméa, l’État colonial continue à acculer les représentants politiques locaux, loyalistes et indépendantistes, dans un embarras pour trouver des solutions consensuelles à des problématiques dont ils ne sont pas à l’origine.
Autant clarifier la situation, cette fuite de responsabilité est subtilement maquillée et enrobée par la recherche systématique et obsessionnelle du consensus, sachant qu’au final, c’est la majorité qui l’emporte, et de la procrastination, cette tendance “maladive” à reporter le règlement du problème à une date ultérieure. Par ailleurs, l’État français a également le souci de ne pas figurer parmi les derniers « vilains » grands pays colonisateurs, de surcroît un pays occidental, en 2018 ; une image sensiblement écornée avec celle d’un pays donneur de leçons de démocratie aux 4 coins du monde…
Aujourd’hui, tout est mis en œuvre pour que la date du référendum et la question à poser soient décidées par les responsables politiques calédoniens. Pour se faire aidé dans cette démarche, l’État français a sorti de son chapeau des structures alliées du genre Comité des Sages…
Certains, les grands penseurs ou “sages”, répliqueront avec ferme conviction qu’il ne faut pas être passéiste et que l’Accord de Nouméa est une réponse adaptée. C’est un processus de construction qui est sensé dépasser les contradictions coloniales. C’est un processus alliant Rupture avec le passé et Construction pour l’avenir…
Malheureusement, la théorie, intellectuellement concevable, reste parfois difficilement applicable voire inapplicable carrément. Les faits sont têtus. De ce fait, la théorie est synonyme d’utopie. A l’instar de l’entreprise d’évangélisation, le concept de construction se révèle au final comme une entreprise d’aliénation de l’esprit aux valeurs occidentales bien bornées par la mondialisation.
Quel est le bilan politique de l’Accord de Nouméa ? Et, que va nous enseigner l’audit sur le processus de décolonisation que la puissance de tutelle, la France, était censé mettre en œuvre ?
Néanmoins, il est incontestable de constater que 20 ans après sa signature, l’Accord de Nouméa demeure encore inachevé dans sa mise en œuvre[2].
D’une manière générale, il est indéniable que la Nouvelle Calédonie s’est dotée de moyens, s’est construite et s’est responsabilisée de plus en plus vis-à-vis de la puissance de tutelle.
S’agissant des objectifs fondamentaux comme le transfert progressif et irréversible des compétences, les dispositions formelles ont été en grande partie réalisées, du fait, de leur caractère juridique obligatoire.
Par contre, quelques dispositions n’ont pas pu l’être en raison des interprétations juridiques, bien souvent contradictoires comme par exemple les compétences de l’article 27 de la loi organique du 19 mars 1999, certains signes identitaires, l’ADRAF, …
Néanmoins, de cette responsabilité acquise, la Nouvelle Calédonie, par le biais de ses politiques publiques, n’a pas été à la hauteur des enjeux qui se posent à elle. L’insertion du pays dans son environnement régional est encore timide et bien tardive…
Sur le plan du développement économique, la NC s’est contentée de poursuivre et perpétuer un modèle économique « conservateur » se basant sur la dépendance; une double dépendance, d’ailleurs, vis à vis le nickel et les transferts publics de l’État français qui n’a engendré que des inégalités sociales les plus criantes et autres. Par ailleurs, cette dépendance vis-à-vis de l’extérieur, alors qu’elle a manifestement les moyens de ne pas l’être, vient contrecarrer l’objectif d’émancipation. L’État français se présente à chaque fois comme le sauveur ! Les exemples récents sont légions: les soutiens pour les 3 usines métallurgiques en grosses difficultés, les loyalistes qui pleurent à chaque sur les 150 milliards de F CFP par an que le pays ne pourrait plus avoir en cas d’indépendance….
Sur le plan de l’identité kanak, les mesures prises n’ont manifestement pas permis une meilleure reconnaissance, pourtant indispensable et préalable à la construction d’un destin commun… ». Le bilan dans ce domaine est on ne peut plus déplorable !
Le bilan politique de l’Accord de Nouméa doit être évalué sur la base des objectifs fondamentaux définis au moment de la signature. Mais, faut –il rappeler que les objectifs ont été définis dans un contexte et moment précis.
Le bilan politique de cet accord doit être également et surtout évalué avec et par un regard objectif donc international.
Ainsi, d’un regard plus large et plus éloigné dans le temps, et moins sur l’emprise d’un dictat du consensus, l’audit sur la décolonisation précisera si la puissance de tutelle a été actrice du processus de décolonisation ou pas…
Comme prévu, la France manœuvre dans les instances internationales et mettra tout en action pour qu’elle sort indemne de cet audit.
Pour que la volonté du vieux grand père soit pleinement réalisée, le peuple kanak doit d’abord se prendre en charge et être acteur de son propre émancipation qui, par ricochet, bénéficieront les autres communautés ; les instances internationales l’accompagneront par la suite…
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[2] « Ainsi, les objectifs de la transition entamée en NC en 1988, maintenues et enrichis en 1998, sont identifiés. Cependant, la résolution des conflits n’est pas aboutie, puisque les tensions interethniques sont toujours une réalité, les objectifs de rééquilibrage ne sont pas atteints et le destin commun peine à se concrétiser rendant la stabilité du régime impossible. » dans « 2018 vers la fin de l’ADN : quel modèle de transition pour la NC ? » de Scarkett Mitran, Chloé Hérubel et Laetitia Voirin – étudiantes en M2 Droit – Revue Juridique, Politique et Economique de NC N°30 – 2017/2.