Marc Anselmi nous propose :
La culture existe aussi dans la langue construite, internationale et équitable :
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Esperanto-Aktiv’ n° 75 – janvier 2017
Ce n’est pas du Agatha Christie, mais la série des polars Ĉu… de Johán Valano a le mérite d’avoir été écrite en espéranto. C’est une lecture facile et distrayante comme le sont les romans policiers. Le style est agréable et érudit.
Dès le premier volume, Ĉu vi kuiras ĉine ?, on suit les tribulations de Jano Karal, policier dans un pays imaginaire espérantophone, Sanktavalo. Il est aidé par sa psychologue de femme, Ĝoja, et leur neveu, Stefano. Les descriptions floues et l’intrigue en montagne de Ĉu li bremsis sufiĉe ? rapprochent ce pays idéal de la Suisse, pays où vivait l’auteur.
Que le lecteur n’y cherche pas la vraisemblance ou le réalisme, mais qu’il se promène au gré des pages comme en un jeu – un jeu avec le langage. L’esprit de Claude Piron perce sous son pseudonyme comme en témoignent certains portraits psychologiques très intéressants (ex. celui de Lizabeta dans Ĉu li venis trakosme ?). Si les relations sentimentales sont bien décrites, les propos tenus par certains personnages peuvent paraitre artificiels. Il arrive même à l’auteur de présenter des excuses pour annoncer un passage mal assumé. On peut citer l’avant-propos à une digression de l’intrigue dans Ĉu ni kunvenis vane ? – roman pour le coup ancré dans la réalité du Kazakhstan soviétique vue par le trio de touristes de Sanktavalo. On peut aussi reprocher à Valano quelques incartades vers un dialecte inventé, qui dilue l’intrigue et trouble peut-être le lecteur.
Quoi qu’il en soit, l’amoureux des mots saura trouver dans cette série une source abondante de mots construits avec habileté dans la langue internationale. Les racines et les affixes s’assemblent de manière simple et logique pour former des mots souvent inhabituels et pourtant tellement naturels. On y découvre des trouvailles pour exprimer des idées courantes, des merveilles de concision et de précision presque poétiques, des espérantismes qu’il serait malaisé de traduire en français sans une périphrase lourde. L’auteur déploie des trésors d’imagination pour enrichir le vocabulaire. Les tournures de phrases sont simplifiées par des adverbes remplaçant très souvent des circonlocutions qui auraient été laborieuses. L’emphase sur certains points est portée par un ordre particulier des mots et une place originale des adjectifs. Aucun véritable barbarisme n’est à déplorer et les néologismes éventuels sont listés, traduits et quelque part justifiés.
Une mention spéciale pour le dernier volume, Ĉu ŝi mortis tra-fike ?, le moins épais de la série. Mais ce n’est pas la taille qui compte… Enfin, sauf dans le cas de cette histoire. Certains déploreront que l’écrivain se laisse aller à la facilité érotique. D’autres apprécieront que ce genre ne soit pas délaissé par l’espéranto. Cela reste de l’érotisme « gentil » ; ce n’est quand même pas un livre qu’on lit d’une seule main, mais plutôt un prolongement du jeu, de la blague, à prendre au second degré. Le pseudonyme déformé de l’auteur, Balano, annonce clairement la couleur.
Critiqués par les plus grands, primés en leur temps par la revue littéraire Literatura Foiro, décortiqués par d’éminents linguistes, les romans de la série Ĉu… sont un incontournable de la littérature espérantophone.
ça fait plaisir de voir un document sérieux présentant une face de la littérature en espéranto (beaucoup d’écrits originaux, pas des traductions) cet aspect de la culture éspérantophone (si, si !) est très méconnu. Je mentionne de mon côté la parution dans la revue « Konstruado 2016 » d’un article sur le possible épuisement de la ressource SABLE – essentielle à la construction (pas qu’au béton) et à l’industrie du verre, à l’industrie chimique. A votre disposition si vous voulez en savoir plus. Pierre Grollemund Saint-Etienne verdapigo@gmail.com.