A la ferme bio, Hulot met les formes
30 août 2017
—Dans une exploitation modèle près de Rennes, mardi, le ministre de l’Ecologie, qu’on dit isolé au sein de l’exécutif, a tenté de convaincre par l’exemple.
La phrase est tombée comme ça, une évidence, un cri du cœur. «Plutôt que de prescrire des antidépresseurs, il faudrait prescrire des rendez-vous réguliers avec vous. Vous nous redonnez la pêche, vous faites la démonstration qu’un autre monde est possible !» Ces mots, lancés par Nicolas Hulot mardi en fin d’après-midi, s’adressaient à l’équipe du «Fermes d’avenir tour», réunie sous le chapiteau bleu de l’étape rennaise de ce «premier tour de France dédié à l’agroécologie».
Antidépresseurs ? Le ministre de la Transition écologique et solidaire serait-il au bout du rouleau ? Au micro de France Info, quelques heures plus tard mercredi matin, outre son vote Hamon au premier tour, Hulot a confié qu’être «heureux n’est pas le sentiment qui prédomine» chez lui à ce poste, tant le «poids des responsabilités»
est lourd. Les cadres d’Europe Ecologie-les Verts l’ont décrit ces derniers temps dans la presse comme un écologiste dans un gouvernement qui ne l’est pas. Un homme «très isolé» qui navigue «en territoire hostile», «Bercy et l’Agriculture lui mettant des bâtons dans les roues tous les jours».
Déprimé Nicolas Hulot ? Il n’en laisse alors paraître aucun signe, au contraire. On l’a vu mardi ferrailler pour ses convictions, plus déterminé que jamais. Joueur d’échecs à ses heures ? C’est bien possible. Sa visite sur l’une des trente étapes du Fermes d’avenir tour (trois mois, 200 fermes visitées, 10 000 visiteurs) était, paraît-il, prévue de longue date. «Il m’avait dit avant d’être ministre qu’il passerait», assure Maxime de Rostolan, le coordinateur du projet Fermes d’avenir, lequel entend prouver qu’un autre modèle agricole est «possible, nécessaire et tellement plus désirable que le modèle agrochimique». L’ingénieur trentenaire, proche de Hulot, est l’un de ceux qui ont tenté de le convaincre, en vain, de se présenter à la présidentielle de cette année. «Maintenant qu’il est ministre, l’idée de ce déplacement officiel est de montrer que la transition écologique et solidaire est possible dans plein de domaines et que l’agriculture en fait partie. Cela lui permet sans doute aussi de montrer que le sujet l’intéresse», glisse-t-il.
Agenda surchargé
Coïncidence ou pas, c’est à un moment clef que Nicolas Hulot a consacré à l’agriculture six heures de son agenda surchargé (aller-retour en TGV compris). Le même jour se tenaient les tout premiers ateliers des «états généraux de l’alimentation», dont la paternité lui revient. Le 17 février, encore président de la Fondation pour la nature et l’homme, Hulot appelait dans Libération à la tenue d’un «Grenelle de l’alimentation». Dressant le constat d’une agriculture «mal en point, économiquement à bout de souffle, socialement épuisée…», il appelait à un «grand débat de société», un «dialogue large, ouvert, sans tabou, chargé de convictions mais sans oppositions stériles», sur divers sujets (pesticides, circuits courts, agriculture biologique, bien-être animal, revenu, qualité de l’eau…). L’idée a été reprise par le président Macron. Mais Nicolas Hulot n’est pas aux commandes, il n’est que le copilote d’états généraux conduits par son homologue de l’Agriculture, Stéphane Travert, dont la vision très agro-industrielle et productiviste du secteur n’est un secret pour personne.
Alors, Nicolas Hulot contourne l’obstacle et avance ses pions comme il le peut, patiemment. Sans forfanterie. Sans agressivité. Surtout ne pas braquer ceux qui aiment boire du Roundup au petit-déjeuner (même si, c’est officiel, il s’opposera en octobre au renouvellement du glyphosate pour dix ans dans l’Union européenne).
Faussement naïf
Face à la nuée de micros, de caméras et de stylos qui le suivent en Bretagne, il s’évertue à arrondir les angles, dans un grand exercice de diplomatie, répétant plusieurs fois qu’il ne faut «pas stigmatiser l’agriculture conventionnelle», qu’il ne faut «pas la tuer», qu’il «n’y a pas un seul mode de production agricole en France, mais une grande diversité», que «plutôt que de les confronter, il faut les additionner». Son plan est simple : convaincre par l’exemple. Profiter de son aura médiatique, de sa popularité, de l’air du temps, pour mettre en lumière des expérimentations réussies, des agriculteurs comblés, des modèles prouvant qu’on peut obtenir d’excellents rendements en donnant du sens à son métier, sans recourir aux intrants chimiques.
Il fallait le voir, mardi, visiter la ferme des Petits Chapelais, à Chavagne (tout près de Rennes), l’une des vitrines de cette étape du «Tour». Il fallait le voir écouter avec attention Gilles Simonneaux raconter pourquoi et comment il a converti l’élevage laitier familial au bio, en 1998, avant de se diversifier (maraîchage, cochons qui ne consomment que les sous-produits de la ferme, production de pain avec les céréales du cru, vente directe à la ferme ou via des Amap, panneaux solaires…). Quête de sens, d’autonomie, volonté de ne pas être seul à travailler sur l’exploitation… Aujourd’hui, le grand paysan en bermuda crème ne connaît pas la crise, il a fait grimper la productivité de sa ferme et emploie une dizaine de personnes. Hulot a tombé la veste, qu’il tient d’un doigt par-dessus son épaule. Souriant, détendu, il mitraille son hôte de questions. «Et les effluents des cochons et du bétail, vous en faites quoi ?» Du compost et du fumier. «Pour l’eau, vous avez un captage ?» La ferme dispose de deux puits qui suffisent, même si le changement climatique commence à compliquer la donne. «Avec combien d’Amap travaillez-vous ?» Quatre. «Se passer des intrants, c’était difficile ?» «Psychologiquement oui, répond Gilles Simonneaux, mais techniquement, c’était de la rigolade.» «Pourquoi on en fait tout un plat alors ?» s’interroge Hulot, faussement naïf. «Car il y a des intérêts…» «Et pour vous, la restauration collective peut être un levier ? Et la méthanisation ?»
Les micros enregistrent, les stylos notent, le jeu des questions-réponses se poursuit, le ministre s’est transformé en intervieweur qui sait parfaitement faire accoucher son interlocuteur, le voilà expert en maïeutique. Les réponses lui plaisent. «Pas mal», euphémise-t-il, moue approbative à l’appui. «Après, on peut vous opposer la pénibilité de la tâche…» Sylvie, la maraîchère qui travaille sur la ferme, une néorurale arrivée ici il y a
quatre ans, intervient : «Si on aime ce qu’on fait…» Bingo. «On peut faire une photo d’une maraîchère heureuse ?» lance le ministre à la cantonade. Et de lui poser, à elle aussi, une série de questions précises, choisies. «Vous faites un peu d’agroforesterie [un mode d’exploitation des terres agricoles associant des plantations d’arbres] ? Et le sol, vous le retournez ? Comment vous faites pour vous passer de pesticides ?» La jeune femme détaille ses méthodes, vante les mérites des insectes pollinisateurs. «Et ça marche !» ponctue Hulot.
Tomate Cerise
Les journalistes ont été prévenus : il ne répondra à aucune question s’écartant du sujet du jour. Interrogé sur le scandale des œufs contaminés au fipronil, il garde son cap : «Il y a une leçon à tirer sur l’utilisation des intrants en général, l’expérience montre qu’on sait de plus en plus s’en passer.» Au sujet de l’étude révélée le matin même par l’UFC-Que choisir selon laquelle la grande distribution engrange de très conséquentes marges sur les fruits et légumes bio, il répond : «Si c’est vrai, c’est presque une bonne nouvelle. Cela veut dire qu’on va pouvoir réduire ces marges et rendre le bio accessible au plus grand nombre.»
L’Etat qui semble se désengager des aides au bio, Stéphane Travert qui s’est prononcé pour la création d’un fonds privé de soutien au secteur ? «Il faut regarder…» Hulot demande de l’indulgence. Et du temps. «C’est la clef pour sortir par le haut des états généraux, je me bats pour qu’on n’en ait pas une vision réduite. Il ne s’agit pas de se précipiter, il faut que tout le monde se mette autour de la table sans préjugés, pour voir comment on peut changer profondément mais progressivement.» Il rappelle la promesse de campagne de Macron : faire en sorte que d’ici 2022, la restauration collective (scolaire, hospitalière…) serve au moins 50 % de produits issus de l’agriculture biologique, des circuits courts ou affichant un label de qualité.
Hulot trinque au cidre, croque une tomate cerise, aimerait s’attarder plus longuement. Un agriculteur à la barbe grise l’interpelle : «On a besoin de toi pour nous relayer là-haut. Et on compte sur toi pour Notre-Dame-des- Landes !» L’agenda est minuté, Nicolas Hulot s’en excuse, doit filer. Mais il semble radieux, regonflé à bloc avant de rejoindre Paris et les ors de la République.