Le chasseur ramène la bête à sa tribu. Elle est consommée par tous, sans autre procès que les rivalités de gourmandise pour les bons morceaux.
Les enfants, les anciens, les malades, le chef tous auront une part.
Mais les proies sont limitées, le temps passe la viande ne se conserve guère, il faut retourner à la chasse.
Le chasseur repart, mais si la chasse est mauvaise. Tous meurent de faim.
Le cueilleur ramène la récolte de noix à sa tribu, elle est consommée par tous. Heureusement les noix se conservent et, si le cueilleur fait une mauvaise récolte, il peut vivre sur ses réserves.
Il a même la surprise de voir que ses graines germent avec le temps et découvre l’agriculture, sauf qu’il est obligé de défendre son travail des autres cueilleurs qui ne comprennent pas pourquoi ils n’ont pas le loisir de se servir comme partout ailleurs, il vient donc d’inventer la propriété.
Mais il vieillit et les récoltes sont parfois mauvaises, alors il invente le stockage pour l’avenir. Il prend conscience du temps long.
Mais les autres ont faim ils inventent le pillage. Alors il invente les armes et, comme il faut se défendre, il invente les soldats.
Pour nourrir son monde et éviter qu’ils ne le pillent au lieu de le défendre, il invente des règles et des chefs, mais comme il ne peut surveiller tout le monde il invente la morale et les dieux.
Seulement il faut nourrir plus de monde. Alors il invente l’esclavage.
Mais les autres l’imitent et se disputent la terre. Alors ils inventent les barrières, les frontières et, comme tous n’ont pas toujours tout ce dont ils ont besoin, ils inventent les échanges, puis le commerce, puis inventent une mesure de valeur des échanges en inventant la monnaie.
Mais le temps passe. Il a peur de l’avenir et s’inquiète du jour où il ne pourra plus cultiver. Il a alors deux choix, soit avoir des liens d’amitiés avec les siens, en espérant en recevoir une reconnaissance qui ne le laissera pas tomber, soit en accumulant assez de valeurs pour pouvoir acheter plus tard ce qu’il ne pourra plus produire.
La solidarité prend le risque de l’ingratitude, mais il vit tranquille sans devoir surveiller son magot, alors qu’avoir accumulé lui coûte une surveillance permanente, avec à la clé un risque qui peut être mortel !
Alors il peut choisir de s’intéresser aux autres, d’éduquer les siens aux valeurs morales et de créer une société sereine avec des lois. Ainsi ils lui donneront sa part des récoltes du jour comme il le fait aujourd’hui pour les autres.
Mais il peut aussi choisir de protéger ses biens et de créer une société surveillée avec des lois. Ainsi il gardera sa part des récoltes pour le jour où il n’aura plus les moyens de travailler. Les autres feront pareil, puisqu’ils voient qu’une partie de ce qu’ils produisent disparait dans les réserves du chef.
Ils inventent la dissimulation, les barrières, les serrures, les vols parfois.
Seulement voilà : au lieu de circuler, les grains et les monnaies s’accumulent, inutiles au présent pour être utiles un jour lointain. Les grains peuvent pourrir, les monnaies peuvent perdre leur valeur, et les hommes inventent l’injustice, le mépris, la jalousie et les guerres qui peuvent tout détruire !
Toute cette fable pour monter que pour sortir des aléas quotidiens, il est nécessaire d’échanger et, pour sécuriser l’avenir, il est nécessaire de prévoir.
Pour bien comprendre, il faut réfléchir sur deux dimensions, les autres et le temps.
Une société est composée de ceux qui peuvent produire et d’autres non : enfants, malades, anciens, handicapés, incompétents, paresseux mêmes. Pas besoin de mettre des jugements positifs ou négatifs, c’est un fait. Même chez les fourmis, il a été observé des certaines se la coulent douce.
L’ensemble de ce qui est produit est consommé par l’ensemble de ceux qui vivent. Comme dans ma petite histoire des hommes, celui qui travaille peut, soit partager son travail avec ceux qui en ont besoin, soit se le réserver pour plus tard pour sa retraite.
Avec la répartition, l’argent circule. Il a moins besoin d’être surveillé et, qu’il monte ou baisse, la pénalité n’est guère gênante, les prix et les salaires suivent forcément.
Avec la capitalisation, l’argent est placé, donc il invente les dettes. Il a besoin de prélever ses intérêts et cela freine toute production. Il doit être surveillé et, de peur qu’il ne monte ou baisse, il doit être strictement contrôlé. Et plus les dettes gonflent, plus cela freine l’économie et plus la peur de tout perdre accumule les lois et les surveillances et cela freine encore plus la production.
Les coffres sont pleins, les poches sont vides, l’avenir est assuré, mais le présent invivable, car il est dur de travailler pour n’en récolter que des miettes.
Le système tout entier se boque économiquement, et les colères aggravent encore la situation. Injustices et jalousies priment sur le partage et la solidarité.
Pour les retraités, le social, le chômage, la maladie, l’éducation, etc., il faut que ceux qui produisent assument l’ensemble de la société. Si la moitié des gens travaillent, il faut donc qu’ils donnent la moitié de leur production pour ceux qui ne travaillent pas. En échange, ils auront à leur tour cette part, quand ils ne pourront plus produire eux-mêmes.
Sinon il est possible de faire exécuter le boulot par des machines et tout le monde est content, car en plus les machines ne demandent pas de retraites ! Encore faut-il que ceux qui possèdent les machines ne gardent pas tout le profit pour eux. C’est malheureusement ce qui se passe aujourd’hui.
Alain Persat,
Coopérateur EELV,
Provence-Alpes-Côte d’Azur