Une synthèse du livre d’Edward Herman et Noam Chomsky qui date de plus de 30 ans , réalisée par Nikou Tridon (Attac 06), et proposé à la publication sur le site de la coopérative par Marc Gérenton (coopérateur 06)
Les mass médias ont pour fonction de distraire et d’amuser, mais aussi d’inculquer aux individus des valeurs, croyances et codes comportementaux qui les intégreront dans les structures de la société. Dans un monde dominé par une forte concentration des richesses et une fracture sociale béante, cette fonction implique une propagande systématique.
La partialité de plus en plus évidente avec laquelle l’industrie médiatique traite l’actualité nationale et internationale découle tout simplement de son mode de fonctionnement, de gestion et de financement dans notre économie de marché. Partout, elle est structurée et organisée de la même manière et soumise aux mêmes règles et aux mêmes contraintes et, partout, on retrouve dans le traitement de l’info les mêmes carences flagrantes de toute la production médiatique au sens large : presse, radio, TV, cinéma, publicités, et dans tous les textes ou images sur lesquels s’appuie le citoyen ordinaire pour fonder son jugement et construire sa représentation du monde.
Produire cette représentation biaisée, œuvrer et faire de la propagande pour le compte des puissants groupes d’intérêts qui les contrôlent et les financent, telle est donc la fonction principale des médias occidentaux. Elle s’exerce mécaniquement, sans besoin de pressions ou de directives, par son organisation au sein du modèle économique occidental, et il en résulte une couverture médiatique prodigieusement homogène.
Les facteurs qui structurent le système sont la propriété, le contrôle, l’assujettissement aux sources de financement (notamment la publicité), les liens réciproques entre les médias et les milieux qui font l’information et qui ont le pouvoir d’en imposer une lecture particulière. Même si le travail des journalistes semble guidé par des valeurs professionnelles et s’ils font parfois valoir certaines positions dissidentes, l’efficacité du système consiste à ne jamais laisser ce genre d’informations passer certaines limites, de manière à ce que leur présence atteste de leur indépendance, sans risquer d’entraver la prééminence de l’ordre du jour officiel.
L’industrie médiatique fait partie intégrante de l’organisation politique du système économique dominant, et elle a connu un mouvement progressif de concentration avec l’apparition d’empires capables de contrôler télé, radio, cinéma, journaux, édition, internet, etc. La modernisation constante des technologies de communication lui permet d’exercer sa domination avec un mercantilisme omniprésent.
Qui plus est, avec la prépondérance croissante de la publicité, ce sont aussi les préférences des annonceurs qui déterminent la prospérité et même la survie d’un média. L’autorité des publicitaires sur la programmation télévisuelle tient évidemment au fait que ce sont eux qui achètent et financent les programmes.
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Les médias de masse ont besoin d’un flux continu et stable d’information brute. Ils ne peuvent se soustraire à la demande d’infos quotidienne et aux grilles horaires qui leur sont imparties. Et comme il leur est impossible de maintenir des reporters et des caméras partout où un événement est susceptible de se produire, c’est finalement leur strate supérieure, en matière de prestige et de ressources, qui alimente les autres : avec les gouvernements et les agences de presse, ces médias leaders sélectionnent, formatent et produisent les infos nationales et internationales, que les strates inférieures se contentent de reprendre par une sorte de plagiat autorisé, qu’on appelle dans le jargon journalistique le rewriting.
Les équipes sur place, les envoyés spéciaux, les cameramen, les interprètes, etc. restent l’apanage exclusif de ceux qui ont les plus gros moyens et les meilleurs contacts, mais qui sont aussi les plus proches et les plus dépendants du pouvoir et des élites. Les directives sont relayées par les agences de presse occidentales (qui sont tout sauf neutres et apolitiques), dont les trois principales sont : Associated Press, Reuters et l’Agence France Presse (en grande partie financée par le gouvernement français). Elles représentent à elles seules 80 % des informations internationales diffusées dans le monde et sont au service des marchés.
De leur côté, les chargés de communication des industries et des gouvernements font leur possible pour faciliter le travail des journalistes : mise à disposition de locaux, communication de textes et compte rendus, calage des horaires pour alimenter le « 20 heures ». Au bout du compte, en leur offrant la production d’informations à faible coût, ils subventionnent indirectement les médias qui, bon gré mal gré, finiront par colporter des contrevérités douteuses et limiteront les critiques pour ne pas risquer de froisser leurs sources.
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L’idée de démocratie aurait dû impliquer que les médias soient indépendants et cherchent la vérité pour la rendre publique, mais ils sont en fait un outil de propagande grâce auquel les puissants « gèrent » l’opinion en canalisant ce que le peuple a le droit de voir, entendre ou penser, mobilisant ainsi les populations pour les intérêts particuliers des Etats et du secteur privé.
Ce modèle médiatique n’a donc pas pour fonction sociétale d’offrir au public l’information requise pour former son jugement sur le monde qui l’entoure, mais plutôt de promouvoir les objectifs économiques, sociaux et politiques des élites privilégiés qui dominent la société civile et l’Etat. Cette fonction est assumée par les médias de toutes sortes de manières :
* dépendance accrue à l’égard des agences de presse
* sélection des sujets abordés
* choix de ceux sur lesquels on insistera ou non
* manière d’en poser le contexte
* filtrage des informations
* l’emphase et le ton
* débats et polémiques cantonnés à l’assemblage des dogmes et principes qui font consensus en haut lieu et dont l’influence est si puissante qu’on peut en être imprégné sans même en être conscient
Lorsque la position de force des sources officielles se trouve affaiblie par les informations indiscutables de sources non-officielles respectables, la production d’ « experts » peut alors être orientée à volonté dans la direction souhaitée par les autorités et « le marché ». Le rôle de ces experts est de défendre les opinions communément admises (qui servent au mieux les intérêts des élites) en argumentant le consensus à un haut niveau : avec un bon marketing et en matraquant les idées appropriés sur tous les médias, on peut tout à fait borner le débat dans des limites convenables.
Il arrive bien sûr que les médias montrent une certaine diversité dans les stratégies préconisées pour atteindre des buts identiques, mais les fondements du système et les abus les plus flagrants ne seront jamais remis en cause, y compris dans les périodes où les élites s’empoignent vertement sur des questions d’approche ou de stratégies. Ils n’hésiteront pas à éluder purement et simplement la majeure partie de ce qui permet de comprendre la situation. Les journalistes « objectifs » le sont dans le cadre de leur croyance en un ensemble de valeurs profondément ancrées, fondées sans doute sur l’idée d’un « capitalisme responsable ».
Ces techniques réduisent l’éventail des informations « recevables », celles provenant de sources situées au sommet de l’establishment étant immédiatement couvertes par les médias, contrairement à celles provenant de personnes ou de groupes dissidents qui ont un handicap de départ en matière de crédibilité et de coût de vérification. Les mass médias laisseront toujours les nouvelles nuisibles à des intérêts majeurs s’évanouir discrètement s’ils ne peuvent les occulter d’emblée.
Si les « vraies »informations sont données sur un ton ferme et convainquant, ne font l’objet d’aucune attaque frontale de personnalités de référence, leurs thèmes de propagande seront rapidement établis comme avérés, même sans véritable preuve. Et toute position dissidente sera mise en échec, puisqu’elle contredira une certitude désormais communément admise. De nouvelles perspectives s’ouvriront alors pour avancer des affirmations encore plus exagérées et qui pourront désormais être défendues sans crainte de répercussions sérieuses, les médias rivalisant de moyens pour éliminer tout ce qui contredit les « vérités » institutionnalisées.
Face à cette propagande institutionnalisée, les critiques dénonçant les médias sont aussitôt écartées d’un revers de main comme des « théories du complot » par les commentateurs de l’establishment. Les irresponsables, les complotistes, et tous ceux qui rechignent à relayer les « fake news » en circulation, ne peuvent en pratique rien exprimer qui n’ait cet air absurde si difficile à éviter lorsqu’on ose remettre en cause un préjugé communément admis, sans pouvoir librement développer des faits et des arguments.
Mais il n’est besoin d’aucune hypothèse « conspirationniste » pour expliquer le fonctionnement d’une propagande basée sur la sélection en amont d’un personnel bien pensant, nourri d’a priori dûment assimilés et parfaitement adapté aux exigences du marché et de la politique. Toute censure est superflue lorsque l’autocensure des professionnels les soumet aux exigences des détenteurs du capital et du pouvoir.
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La fonction des médias n’est donc pas d’assurer au public la possibilité d’exercer un contrôle significatif sur les mécanismes politiques, mais au contraire de sécuriser ces mécanismes contre un tel danger. Ils dérobent ainsi au public la moindre chance de comprendre le monde réel. Ce modèle de propagande adapté aux besoins et aux intérêts des élites est une condition sine qua non de succès. Les médias sont effectivement libres … pour ceux qui adhèrent aux principes que requiert « leur fonction sociétale » et qui ont totalement intégré les valeurs et perspectives requises.
Annexe : LES AGENCES DE PRESSE – Investig’action
Les agences de presse sont le centre névralgique du système médiatique.
Elles sont la clé des événements mondiaux tout en opérant de façon quasi-anonyme, et la plupart des gens ignorent leur existence… Elles sont le média le plus influent et le moins connu, d’une importance capitale pour tous les organes de presse.
Il n’y en a que trois :
- Associated Press (États-Unis), 4000 employés à travers le monde. L’AP appartient à un groupe de médias étasuniens et son siège est à New York. Elle est utilisée par 12000 organes de presse internationaux, ce qui lui permet d’atteindre tous les jours plus de la moitié de la population mondiale.
- L’Agence France Presse (France), quasi gouvernementale, basée à Paris, 4000 employés. L’AFP envoie plus de 3000 dépêches et photos tous les jours aux médias du monde entier.
- Reuters (Grande-Bretagne), société privée, 3000 employés. Reuters a été racheté en 2008 par le patron de presse canadien Thomson, une des 25 personnes les plus riches du monde, pour devenir Thomson Reuters, dont le siège est à New York.
Ces agences sont pratiquement inconnues du grand public, mais les motifs de cette discrétion sont clairs : les journalistes ne veulent pas que leurs lecteurs se rendre compte qu’ils n’ont fourni aucun travail d’investigation pour la plupart de leurs articles. En fait, non seulement le texte, mais aussi les images et les vidéos que nous voyons tous les jours dans les médias, proviennent principalement de ces agences. Ce que le public non initié voit comme le travail des journalistes de son pays, n’est que la copie de dépêches provenant de New York, Londres et Paris. Ce dont les agences ne parlent pas n’existe pas.
Au final, la dépendance des médias vis-à-vis des agences mondiales crée une similarité frappante dans le traitement de l’actualité internationale : dans tout le monde occidental, les médias traitent les mêmes sujets, avec les mêmes mots – un phénomène qu’on peut comparer aux « médias sous contrôle » des états totalitaires. Les correspondants, n’ayant pas les moyens de mener des recherches indépendantes, se contentent de répéter et renforcer les sujets prescrits, d’où l’ « effet mainstream ».