intervention du sénateur Desessard (EELV)
Madame la Présidente/ Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Chers collègues,
Je voudrais placer notre argumentation sous le sceau du bon sens :
– Nous n’avons qu’une planète et sommes de plus en plus nombreux, donc nous avons intérêt à ne pas créer de lieux inhabitables, à cause de la pollution des rejets, comme des extractions.
– Le soleil et les écosystèmes travaillent pour nous, produisent de la nourriture, renouvellent les sols, l’air et l’eau, donc nous avons intérêt à favoriser leur bon fonctionnement, plutôt que de l’enrayer.
L’heureux mariage de la nature et de la culture, la rencontre fertile de la biodiversité et du travail paysan nous ont nourris et abrités. Les retombées créatives de l’innovation nous ont habillés, chauffés, soignés, cultivés mais ont aussi, au cours des derniers siècles, accéléré la production d’alliages, d’objets, de constructions, d’infrastructures, demandant toujours plus de sable, plus de métaux, plus d’énergie. On produit, on consomme, on emballe, on jette… On fabrique même du jetable de suite.
Et nous voici arrivés à un point où, au lieu de vivre des dividendes de la planète, nous croquons le capital, et nous le dilapidons chaque année plus vite. Des chercheurs ont calculé le « jour de dépassement » date à laquelle l’humanité a consommé ce qui est renouvelable en un an : chaque année il arrive plus tôt : en 2016, c’était le 8 août. Après, on vit à crédit, et on n’est pas solvable.
C’est pourquoi l’économie circulaire participe du développement durable, en ce qu’elle rallonge la durée de vie des matières. Cela demande de penser la production, non seulement du berceau au cercueil, mais du berceau d’un objet au berceau d’un autre. Alors les ordures ménagères cessent de polluer la mer ou de partir en fumées de dioxines, mais font rouler nos bus au méthane, et font pousser nos légumes sur compost. Des plastiques nous rhabillent de « polaires ». Et l’or des cartes téléphoniques évite que nous ne massacrions le cœur de la Guyane pour enrichir des multinationales. Et certaines matières, comme le mercure ou …les autres substances visées par la directive RHOS- comme le plomb ou le chrome hexavalent-… deviennent personae non grata, car elles font plus de dégâts qu’elles ne rendent de services.
Mais pour que ces images d’Epinal deviennent réalité, il faut beaucoup de volonté politique, et beaucoup d’innovations techniques : l’éco-conception ne s’improvise pas.
La responsabilité de l’origine des matières premières, le démontage, la réparation, le recyclage des éléments doivent être pensé dès le départ. Ce ne fut pas le cas du nucléaire, et le casse-tête de ses déchets comme du démantèlement montrent bien que l’on a fait décoller l’avion… sans prévoir de pistes d’atterrissage.
L’économie circulaire interroge la finalité de la mise sur le marché des produits : par exemple, l’obsolescence programmée est incompatible avec l’économie circulaire. Dans le cas des téléphones, il est scandaleux que les fabricants rendent les batteries inamovibles, cela ne permet pas de les réparer ou de les réutiliser ; et dans certains cas, cela ne permet même pas de les recycler si on ne trouve pas d’alternatives aux plastiques bromés dont on ne sait pas gérer la toxicité en bout de chaîne. A vos côtés, Madame la Ministre, il faudrait la recherche et l’industrie !
Il faut aussi réfléchir au partage de la valeur de l’objet recyclé, tout au long de sa vie. Selon un rapport de Mc Kinsey, réalisé pour la fondation Ellen Mac Arthur, l’économie circulaire permettrait aux entreprises d’économiser annuellement plus de 240 milliards de dollars en Europe, par réduction des achats de matière première. A vos côtés, Madame la Ministre il faudrait Bercy !
Enfin nous savons que des règles communes européennes font le poids face aux constructeurs et aux mises en décharge : c’est le 13 mars qu’à Strasbourg commence l’arbitrage sur le « paquet » de directives sur l’économie circulaire. Contre la timidité de la Commission et aux côtés des exigences du Parlement européen, près de vous, Madame la Ministre, il faudrait le Secrétaire d’Etat aux affaires européennes.
Les écologistes tiennent à préciser que l’économie circulaire, en revanche,
– Ce n’est pas disséminer des poussières contaminées dans de la bonne terre arable, jusqu’à ce que les concentrations deviennent « acceptables », car la chaîne alimentaire a vite fait de tout reconcentrer et in fine, les polluants se retrouvent dans nos assiettes.
– Ce n’est pas fondre les aciers des matériels de faible activité des vielles centrales nucléaires pour en faire des casseroles.
– Ce n’est pas incorporer les boues rouges dans les remblais du BTP pour les répandre sous les routes, au risque de contaminer les nappes phréatiques.
Il ne suffit pas de rédiger un préambule pour avoir son brevet d’économie circulaire : c’est une démarche complexe et exigeante. C’est aussi, et c’est ce qui nous motive, une démarche innovante et enthousiasmante. En ces temps de mutations inquiétantes, et de perspectives assombries, dessiner un futur à vivre n’est pas un luxe.
Se dire que l’on peut cesser de mettre en tension des pays pauvres à l’autre bout du monde pour prendre leur lithium, leur uranium, ou leur tantale peut rendre espoir à la jeunesse.
Se dire que l’on peut à la fois créer de l’emploi et cesser d’encrasser la planète est un beau programme, recyclable par tous, à condition d’y mettre du cœur, de la sincérité, de la transparence et de la rigueur.