Comprendre la société de la post-croissance.

Si la trajectoire vers une « société postcroissance », exprimée par la « transition écologique », est plutôt comprise, la cible, qui nous projette dans un monde futur, reste floue et échappe au plus grand nombre. A contrario, la notion de « décroissance », perçue de façon négative par l’opinion publique (retour à la bougie), se réduit à une trajectoire. Le mouvement EE-LV s’est emparé du sujet à travers une commission « postcroissance » et une succession de motions. Le Réseau coopératif pourrait apporter sa pierre à la réflexion et cet article lance un processus. D’autres articles, une bibliographie, une place dédiée sur notre site, devraient suivre. J’aborderai le sujet sous trois angles liés (post-croissance, finitude des ressources, société post-croissance) et identifierai quelques pistes à explorer.

1) Post-croissance : Les écologistes, dans leur grande majorité, s’accordent sur le fait que la poursuite de la croissance n’est plus crédible, mais la façon de sortir de cette impasse les divise. L’idée première des limites à la croissance, contestée par certains économistes, repose sur l’impossibilité du découplage entre celle-ci et la consommation d’énergie non renouvelable et de matière. Le progrès technique permet de produire plus avec moins d’énergies fossiles, mais il n’annule pas pour autant le couplage. Il faut donc réduire progressivement nos flux de matière et d’énergie. Un point méritant une analyse est celui de la théorie de la valeur sur laquelle peut s’appuyer la post-croissance. Deux piliers d’une telle économie, la démarchandisation (moindre dépendance au marché) et la relocalisation, devraient aussi être questionnés dans leur rapport avec la mondialisation. Enfin les apports respectifs des systèmes économiques innovants (ESS, économie circulaire, économie collaborative, économie symbiotique, etc.) contribuant à cette « économie écologique » devraient être examinés.

2) Finitude des ressources : Cette question, qui fonde pourtant les limites de la croissance, est souvent négligée. Les médias en sont largement responsables, qui isolent volontiers le phénomène de raréfaction des ressources du modèle de développement économique dans lequel il s’inscrit. Ils s’emparent du sujet une fois l’an (dernièrement début août) en nous annonçant le « jour du dépassement », celui où toutes les ressources renouvelables de la planète disponibles pour l’année ont été consommées, en nous alarmant à juste titre, mais trop ponctuellement, sur notre empreinte écologique et notre empreinte alimentaire. L’hypothèse de la finitude des ressources reste contestée par les « éco-modernisateurs » et autres « techno-optimistes » qui considèrent que la science et les innovations technologiques permettront d’échapper à l’épuisement des ressources. Ils sont souvent adeptes de la « croissance verte », cette façon habile de déguiser la croissance qui a remplacé le « développement durable » (la démocratie en moins). Pour le convaincu de la finitude que je suis, une question fondamentale se pose: à quel rythme chacune de ces ressources (*) non renouvelables très variées (et même certaines renouvelables) va-t-elle se raréfier voire disparaître? Et je ne crois pas–autre sujet qui oppose les écologistes–à la régulation publique de la démographie pour diminuer la pression sur les ressources et retarder les échéances.

3) Une société de la post-croissance : Nous sommes en présence d’un projet global de société qui dépasse la recherche d’un équilibre entre activités humaines et stocks de ressources. Ce projet est peu abordé par la prospective intégrée et ses contenus restent imprécis. Le terme qui le traduit le mieux est sans doute la « prospérité sans croissance » qui allie une forme de satiété économique (et non l’abondance propre à la croissance) et un état de bien-être. Au delà du respect des limites écologiques imposant une autolimitation et un renoncement au consumérisme, c’est d’une société plus équitable, d’un rapport réinventé au travail, d’un mode de vie plus autonome qu’il s’agit. Une série de principes et de vertus sont également en jeu, associés au « Bien Vivre » (titre du dernier livre-programme présidentiel d’EE-LV) ou à la « sobriété heureuse » : convivialité, coopération, bienveillance, partage, entraide, proximité, hospitalité, lenteur, démocratie citoyenne, etc. De nombreuses initiatives fleurissent déjà localement, illustrant ce besoin d’une autre société, efficacement vulgarisé par le film Demain. Mais une somme d’initiatives ne fait pas « système » et deux pistes de travail me semblent intéressantes pour progresser vers un changement d’échelle:

1) comment assurer une gestion démocratique des biens communs sociaux et écologiques (éducation, santé, climat, eau, biodiversité, etc.) via des normes de qualité établies par la régulation publique ?

2) comment fabriquer un narratif, un « grand récit », mettant cette société et l’être humain post-croissant en images, pour les rendre désirables à l’opinion, qui ne voit là que catastrophisme, régression et contrainte individuelle ?

(*) une catégorisation simple et exhaustive en cinq groupes peut être utilisée : 1) biodiversité ; 2) métaux et minerais hors énergies fossiles ; 3) ressources énergétiques (fossiles, nucléaires, non renouvelables) ; 4) milieux physiques (sols, eau, air, forêts) ; 5) ressources alimentaires (dont les ressources halieutiques surexploitées).

Patrick Salez

Coopérateur EELV

Poitou-Charentes

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