Intervention sur la situation internationale au Conseil Fédéral du 9 Avril 2016
Elle tourne, elle tourne la terre, elle tourne pas rond[1],
La malédiction des ressources : manipulation démocratique en Afrique
Cette année encore, comme en 2015, avec 8 élections prévues sur le continent, on pourrait croire que la démocratie continue à s’y affirmer après les années de dictatures qui ont suivi les indépendances. En réalité, elles ne sont que des leurres dont le seul objectif est de donner une apparence de légitimité à des présidents en place depuis des décennies. Et de les rendre plus fréquentables pour les « vraies » démocraties, en particulier la France dont ils sont des alliés fidèles.
Peu importe, alors, que les lois électorales aient été détournées, que les droits des opposants ne soient pas respectés et, surtout, que les mouvements populaires soient violemment réprimés, seuls comptent les multiples intérêts en jeu.
À Djibouti, les bases militaires stratégiques ont fait oublier les précédentes élections, falsifiées, les médiations promises par l’UE, et les répressions pré électorales sur les opposants.
Même au Niger, où sévit Areva, où le pouvoir n’avait pas d’antécédents dictatoriaux, le concurrent le plus sérieux face au président actuel a été emprisonné et a dû se retirer du 2ème tour !
Au Tchad, aux ressources pétrolières s’ajoute le soutien militaire aux interventions françaises (Mali, Centre Afrique). Idriss Déby, 26 ans au pouvoir, a supprimé la limitation à deux mandats pour en briguer un troisième, emprisonne et réprime toute manifestation. Par exemple, celles qui ont suivi la révélation d’un viol par les fils de hauts dignitaires du régime, illustrant la déliquescence de tout le clan au pouvoir.
Pour le Congo Brazzaville, où Total domine, on a pu entendre, avant rétractation, vues les manifestations sanglantes, le soutien de F Hollande au référendum organisé par D Sassou Nguesso pour, après 32 ans de pouvoir, valider son 3ème mandat. Aujourd’hui encore, après des élections sous haute surveillance, internet et réseaux sociaux ayant été bloqués, la répression continue à faire des morts, qui s’en émeut ?
Cette liste[2] n’est, malheureusement, pas exhaustive. Les tensions internationales, la course aux ressources, dont la majorité des pays ‘africains regorgent ( pétrole, or et diamant, bien sûr, mais aussi cobalt, coltan, lithium etc) ont jeté aux oubliettes les aspirations démocratiques ou sociales, et, bien entendu, environnementales.Les populations n’ont aucune retombée des rentes versées à leurs dirigeants. La superficie du lac Tchad se réduit de façon inquiétante, à la Pointe noire à Brazzaville, la pollution provoque nombre de maladies et empoisonne la pêche, la sécheresses et la désertification s’amplifient (pas seulement au Sahel, en Ethiopie, même en Afrique du Sud). On voit quelles conséquences entraine notre modèle énergivore, productiviste, notre sur-consommation au service de clans corrompus et de multinationales prédatrices.
Guerres au Moyen OrienI.
Si les guerres actuelles dépassent, aujourd’hui, la captation des ressources énergétique, le manque de redistribution des richesses et les destructions environnementale, elles en sont quand même le résultat.On ne saurait sortir d’une situation cauchemardesque pour les populations qu’en proposant un plan de paix appuyé par une modification profonde des relations commerciales internationales et, là encore, d’un changement total de notre système économique. Sûrement pas par une stratégie uniquement militaire. Savez vous combien coute une seule nuit de bombardements sur Racca ( capitale proclamée de Daech) ? 23 400 000 euros. Bien sûr, ce n’est pas si simple, mais on ne peut s’empêcher de penser que ces milliards dépensés pourraient servir à « gagner la paix », améliorer le sort des peuples et éradiquer les terrorismes.
Évidemment, cela signifierait sacrifier « notre » industrie militaire, « nos » ventes d’armes aux pires pétro-monarchies (le Moyen Orient est notre 1er client, l’Inde, le second !). Sacrifier la 2ème place que « nous » venons de reprendre aux russes dans une compétition internationale en expansion . Ce sont toujours des points de croissance du PIB en plus, sans beaucoup d’effets sur l’emploi, pourtant , puisqu’on évalue le gain à 60 000 postes de plus ( bien peu au regard des 5 millions de chômeurs et des centaines de milliers de morts).
Dans ce contexte de violence, de misère, quoi de plus normal que la tentative désespérée de millions d’êtres humains à s’échapper et à rejoindre le riche continent européen ? Et quoi de plus scandaleux que l’accord signé avec la Turquie par l’Union Européenne pour qu’elle récupère et garde les réfugié-es contre finances. Ce deal serait déjà inqualifiable, en tant que tel, il l’est encore plus avec un régime de plus en plus autoritaire et répressif ( emprisonnant des universitaires, des journalistes, sans parler des violences à l’égard des civils kurdes, quelques soient les responsabilités du PKK). Pourtant, un chiffre atteste de la lâcheté de l’UE : avec 508 millions d’habitants, elle accueillerait 76 000 réfugié-es. Le continent se transforme en citadelle assiégée et la Méditerranée en cimetière.
En Amérique latine, crise des productivismes
Les gouvernements de gauche subissent de plein fouet la chute du prix du pétrole et la crise générale qui voit la demande des pays émergents, principalement la Chine, diminuer fortement. Fondée sur la primarisation de leur économie, leur politique de redistribution est mise à mal, faute de n’avoir pas pu, ou pas su, investir dans d’autres secteurs.
Au Vénézuela, bien sûr, où la rente pétrolière est la 1ère ressource, mais aussi en Equateur qui avait pourtant tenté une autre voie[3] . La Bolivie, premier pays ayant inscrit la défense de la « Pacha mama » dans sa constitution, hésite sur l’extraction du lithium, dont il possède la 2 ème réserve mondiale. Bien que les OGM soient interdits, la production persiste dans le sud. Mais les manifestations d’indiens contre la construction d’une route amazonienne n’ont pas empêché Evo Morales d’être réelu pour un 3ème mandat avec 61% des voix. Il n’en fera pas de 4ème, car il a perdu, en Février, et l’a reconnu, le référendum l’y autorisant. Ce qui est finalement une bonne nouvelle pour la démocratie.
Au Brésil, 9ème puissance économique du monde par son PIB, les manifestations se succèdent pour appuyer la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff , ou, dans une moindre mesure, semble-t-il, pour s’y opposer. L’économie est en régression, pour les mêmes raisons citées plus haut, crise de la demande, primarisation, baisse du pétrole, auxquelles il faut ajouter la corruption endémique ( qui touche de nombreux autres pays du continent). La lutte contre la pauvreté qu’avait lancée avec succès Lula ( baisse de 20%) n’avait pas remis en question la structure profondément inégalitaire de la société brésilienne. Et les manques à gagner dues à la situation internationale, qui n’ont pas été compensées par des investissements durables, ont touché les couches moyennes. S’y ajoutent la corruption dont aurait profité le Parti des Travailleurs au pouvoir, en particulier à travers la société, à majorité publique, Pétrobras ( classée parmi les 10 premières sociétés pétrolières mondiales).
C’est cet ensemble qui explique la forte mobilisation en faveur de « l’impeachment » de la présidente, appuyée sur une énorme campagne médiatique.
Pourtant, Dilma Rousseff n’est pas directement mise en cause, ce qu’on lui reproche est d’ordre budgétaire (une manipulation dans la présentation des comptes). C’est ce que rappellent les manifestant-es qui la défendent, soulignant que les politiques qui la mettent en accusation sont, par contre, déjà mis en examen pour des faits avérés de corruption. Par exemple, le président de l’Assemblée qui devrait lui succéder. Ils pointent aussi le fait que la campagne menée par les grands médias n’a rien d’objective car ils appartiennent tous à la classe sociale dominante qui rêve de reprendre le pouvoir.
Certain-es craignent même un coup d’état démocratique, ces acteurs étant ceux là même qui avaient soutenu la dictature militaire, jusqu’en 1984. D’ailleurs, tous ne défendent pas, loin de là, la politique gouvernementale mais la démocratie. Très productiviste, elle a favorisé une agriculture Ogm extrêmement polluante ( avec des problèmes d’eau dramatiques à Sao Paulo), la construction de barrages dangereux pour les populations indiennes,a laissé faire une exploitation de l’Amazonie indéfendable ( la ministre de l’agriculture est une représentante de l’agro-business) , etc.
Que conclure ? Que notre système est en bout de course, que les puissances économiques de plus en plus prédatrices, mettant en danger la survie de l’humanité, se concentrent entre de moins en moins de mains, mais que de plus en plus de peuples se révoltent .
Françoise Alamartine, Co-responsable de la Commission Transnationale, Avril 2016
[1] Extrait de « Le Fier Monde », texte de Sol, clown littéraire et canadien.
[2] Seul le Bénin a connu une alternance lors des élections présidentielles, c’est tellement rare qu’il faut le noter !
[3] Le projet « Yasuni » de ne pas extraire le pétrole de cette région amazonienne contre une compensation financière du manque à gagner. Initiative remarquable contre le réchauffement climatique et pour une transition énergétique sans perte pour les pays producteurs, qui a échoué par manque de financement .