Le Président Macron, champion du paradoxe, peut « en même temps » fustiger les Marcheurs pour le climat en les envoyant manifester en Pologne et faire confiance aux citoyens en organisant une Convention. 150 d’entre eux devront donc trouver la recette miracle de la « réduction des gaz à effet de serre de 40% d’ici 2030 par rapport à 1990 et ce dans une logique de justice sociale ». La question est bonne, mais l’exercice relève triplement de la plus pure esbroufe :
- les solutions sont connues mais restent dans les placards, faute de volonté politique. Il suffit de lire les études sur la trajectoire 1,5°C, de comparer les scénarios négaWatt et de s’inspirer des réussites de nos voisins : agriculture et alimentation bio italiennes et autrichiennes, schéma allemand de préservation des terres, taxe carbone suédoise, énergies renouvelables danoises, interdiction écossaise des voitures à moteur thermique ;
- l’exercice est hors délai. Alors que les scientifiques nous indiquent que les 18 mois à venir sont déterminants pour nous sauver du chaos climatique, le gouvernement met six mois à accoucher de la Convention citoyenne (décidée en mars) et lui laisse quatre mois pour restituer ses résultats. Un délai auquel il faudra ajouter ceux de la décision et de la mise en application. Une telle Convention aurait été parfaite pour décider de l’avenir d’Aéroports de Paris, opération qui s’accommode du moyen terme, certainement pas pour faire face à l’urgence climatique et sociale.
- rien ne nous est dit de l’articulation des travaux de cette Convention avec d’autres initiatives récentes en faveur du climat :
- le lancement en octobre 2018 au sein de l’Assemblée nationale du collectif transpartisan « Accélérons la transition énergétique et solidaire » ;
- l’instauration en novembre 2018 du « Haut conseil pour le climat » chargé d’émettre des recommandations d’experts.
Il y a une insupportable mauvaise foi à saucissonner ainsi les initiatives des sphères de la politique, de l’expertise et de la démocratie délibérative sans chercher le moins du monde à les relier entre elles.
S’il souhaitait vraiment faire avancer l’action climatique, ce Président si omnipotent aurait dû lancer trois chantiers majeurs (*), constituant un socle incontournable pour la mise en œuvre des recettes qui seront proposées par la Convention citoyenne.
- Le renoncement à l’obsession de la réduction du déficit public. Porter simplement le déficit de 2,2% (inscrit pour 2020) à 3% (le plafond imposé par Bruxelles), c’est récupérer 20 milliards d’euros annuels, soit précisément le montant manquant aux investissements publics en faveur d’une transition écologique solidaire, tel qu’estimé par Nicolas Hulot lors de son départ du gouvernement. Bien loin d’une telle hypothèse, le budget 2020, dont les arbitrages viennent d’être dévoilés, va complètement à l’encontre de la question posée à la Convention : réduction des dépenses de l’écologie, de la santé et de la solidarité sociale au profit de l’armée et de la sécurité.
- L’inversion de la politique d’aménagement du territoire des décennies passées pour la rendre compatible avec l’urgence climatique et sociale. C’est à dire en finir avec l’étalement urbain dévoreur d’espace, la concentration des hyper-commerces en périurbain, la fermeture des services publics ruraux et l’urbanisation anarchique du littoral. Toute cette « lame de fond » génératrice de mobilité individuelle forcée, de gaspillage énergétique, de sentiment d’abandon et d’injustice sociale, de vulnérabilité aux risques naturels.
- Une action pédagogique auprès des citoyens en ayant à cœur de :
- montrer que la question du climat, loin d’être sectorielle et purement environnementale est intrinsèquement liée aux grandes questions sociales nationales (précarité énergétique, injustice sociale, etc.) et aux grands défis qui s’imposent aux pays en développement (migrants, réfugiés, autosuffisance alimentaire, santé, tourisme) :
- montrer que l’écologie n’est pas punitive et que les bénéfices potentiels existent au plan du sens et de la qualité de vie, au plan des valeurs de responsabilité et de solidarité. Rappelons que selon un récent sondage, 72% des citoyens considèrent que notre modèle économique actuel n’est pas compatible avec la préservation de l’environnement : les conditions sont donc de plus en plus favorables à une telle pédagogie.
C’est à ce troisième chantier que la nouvelle organisation coopérative issue du réseau coopératif EELV pourrait s’avérer utile : ses adhérentˑes se rangeraient parmi les formateurs à l’écologie théorique et pratique, mais aussi parmi les « passeurs », les transmetteurs d’un autre mode de vie, en diffusant l’ensemble des initiatives social-écologiques ainsi que les « petits gestes écolos » quotidiens.
Il y a fort à parier que ces trois chantiers recueilleraient aujourd’hui un large consensus démocratique.
Patrick Salez
Coopérateur EELV
Poitou-Charentes
(*) Nous ne parlons ici que des chantiers relevant directement de la puissance publique, laissant de côté ceux consistant à orienter les investissements des entreprises vers la décarbonation de l’économie et à cibler les soutiens bancaires sur les financements verts. Lesquels chantiers se heurtent assez systématiquement à la recherche des profits à court terme même si une forme de légitimation par le comportement vertueux se fait lentement jour.