Extrait interview Pablo Servigne
LE MONDE : Beaucoup de propositions affluent déjà pour construire le « monde d’après ». Comment le voyez-vous ?
La pandémie a créé une brèche dans l’imaginaire des futurs politiques, où tout semble désormais possible, le pire comme le meilleur, ce qui est à la fois angoissant et excitant.
Il faut d’abord assurer une continuité des moyens d’existence des populations, tout en retrouvant une puissance des services publics du « soin » au sens large (alimentation, santé, social, équité, écologie…), ce qui peut se faire rapidement par des politiques publiques massives et coordonnées, de type création de la sécurité sociale, New Deal, plan Marshall, etc.
Mais une politique publique forte ne garantit pas un changement profond et structurel. C’est donc le moment de tourner la page de l’idéologie de la compétitivité et de l’égoïsme institutionnalisé et d’aller vers plus de solidarité et d’entraide.
Il faut aussi retrouver de l’autonomie à toutes les échelles (individuelle, locale, nationale). Bref, des principes inverses au monde actuel, globalisé, industriel et capitaliste ; tout ce qui amène à revenir à la vie, à contrer une société mortifère. Les changements devront être sociaux et individuels, c’est-à-dire que l’enjeu est politique et spirituel. S’il manque l’une des deux faces, je pense que c’est voué à l’échec. Sans oublier le plus important, c’est un processus commun, délibératif, le plus démocratique possible.
Je suis aussi persuadé qu’on va vivre une succession de chocs qui vont restructurer nos sociétés de manière assez organique. On va un peu concevoir ces transformations mais surtout les subir. La grande question est de savoir si on arrivera à s’adapter. Quand on soumet l’organisme à des chocs répétés, il se renforce à terme, sauf si les chocs sont trop rapides et trop forts ; dans ce cas, il meurt.