EELV s’étant trouvé dans l’impossibilité de parvenir à une motion commune pour le Congrès, quatre motions se sont affrontées le 16 novembre : la motion A (Grandir Ensemble) soutenue par la direction sortante, la motion B (Le Temps de l’Écologie) soutenue discrètement par Yannick Jadot, la motion C (Démocratie Écologie) menée par Philippe Stanisière et la motion D (Le Souffle de l’Écologie) conduite par Alain Coulombel. Décortiquons ces textes riches d’enseignements.
1) Non, ce ne sont pas simplement quelques nuances de vert !
On peut certes repérer deux invariants entre ces motions :
- une propension à penser « parti » et non « mouvement » et à exclure la coopérative (et donc l’Agora) de la réflexion. A l’exception très appréciable de la motion D qui regrette « que la coopérative n’ait pas pu se développer comme elle l’aurait voulu » (*).
- l’absence de référence aux perspectives d’évolution de l’Europe. Une omission regrettable lorsque l’on sait que l’Europe fournit le cadre politique et financier de toutes les propositions communes aux motions (transition énergétique, mobilité durable, agriculture et alimentation, justice et droits sociaux). Et un paradoxe puisque EELV doit sa force retrouvée aux dernières élections européennes. La construction européenne ne mérite-t-elle pas mieux que le rôle de tremplin pour un rebondissement politique national ? Cette absence est-elle simplement due au fait que l’Europe n’est pas discriminante entre les motions ?
Mais impossible de croire une seule seconde au discours ambiant, destiné à rassurer l’électorat potentiel, selon lequel les motions porteraient des orientations communes et ne différeraient que par les personnes signataires. Ces motions, bien au contraire, reflètent les différences de ligne idéologique, de stratégie politique et de conception de la démocratie et de l’organisation interne propres à EELV. Laissons de côté la cuisine des pratiques internes pour nous intéresser aux deux discriminants principaux.
2) Quels fondamentaux idéologiques ?
Si l’urgence climatique traverse les quatre motions, une nouvelle ligne de partage apparaît qui surplombe l’axe traditionnel droite-gauche établi en fonction de l’attention portée aux luttes sociales. Cette nouvelle ligne est celle de l’intensité et du degré d’urgence de la transformation de notre société.
- La motion B traduit une écologie faite d’humanisme, de prise en compte du vivant dans son ensemble et teintée de justice sociale. La seule radicalité de son projet politique réside dans un souhait de « dépassement de la société de consommation », mais rien n’est élaboré à ce sujet et l’ensemble traduit plutôt une conception classique de l’écologie d’accompagnement (dont les nouveaux indicateurs de richesse chers à Eva Sas).
- La motion A soutient une écologie de transition vers une société plus sobre, plus juste et plus inclusive.
- Les motions C et D défendent une écologie de rupture fondée sur la théorie de l’effondrement. Ces deux motions proposent des réponses fortes en termes de refonte des modes de consommation, de production et de vie et font une place importante à la relocalisation de la production.
- La motion D dessine même les contours de ce que pourrait être une société de post-croissance, exercice méritoire lorsque l’on sait le caractère pour le moins imprécis de cette notion ;
- pendant que la motion C pousse un peu plus loin la question démocratique et celle de l’éducation populaire.
3) Ouverture et rassemblement, quelle stratégie politique en vue des élections futures ?
La ligne de partage stratégique est claire également :
- d’un côté, le camp des motions A, B et C, fondées sur un leadership d’EELV et porteuses selon les élections, soit d’autonomie soit d’alliances par cercles concentriques (petit cercle de la fusion, grand cercle des alliances) reléguant la gauche « écologisée », toujours suspecte, en périphérie ;
- de l’autre la motion D, porteuse d’un grand rassemblement politique mettant sur un pied d’égalité les partenaires de l’écologie intégrale (Génération Écologie, MEI, AEI, etc.) et ceux de la gauche écologisée. La motion D émet même l’hypothèse d’une structure horizontale novatrice, conciliant mise en commun ponctuelle et préservation des identités, l‘Archipel politique.
4) Des résultats sans grande surprise :
Motion A (Grandir Ensemble) : 43%
Motion B (Le Temps de l’Écologie) : 26%
Motion C (Démocratie Écologie) : 8,5%
Motion D (Le Souffle de l’Écologie) : 22%
Trois observations.
- La prime aux sortants. En ces temps troublés, un tien vaut mieux que deux tu l’auras !
- Un léger avertissement à Yannick Jadot : si tu veux être le candidat 2022, clarifie ta ligne idéologique et ta stratégie d’ouverture !
- L’écologie vraiment radicale, celle de rupture, pèse un petit tiers au sein d’EELV.
5) Les négociations : répartition des postes ou stratégie politique ambitieuse ?
Trois options de négociation sont envisageables d’ici le 30 novembre.
- Une liste composite, mélangeant savamment les quatre motions, celle que Julien Bayou tentera de créer en prêchant l’unité et en proposant des postes aux chefs de file.
- Une alliance majoritaire A+B, qui aurait du sens du point de vue de la ligne idéologique mais serait particulièrement clivante.
- Une alliance B+C+D pour renverser la motion majoritaire.
Espérons seulement que l’affirmation des convictions l’emportera sur les sirènes des postes. Espérons que nous irons vers une écologie de rupture et vers un grand rassemblement politique confiant dans les engagements de l’ensemble de la gauche écologisée. Seul un tel rassemblement pourrait faire basculer les majorités en 2022 : les 8% d’intention de vote et le placement en 5ème position de Yannick Jadot dans les premiers sondages montrent assez bien la faiblesse de la stratégie actuelle.
Patrick Salez
Coopérateur EELV
Poitou-Charentes
(*) Ce n’est pourtant pas la raison principale pour laquelle je suis largement favorable à cette motion.