Festival international du film ornithologique de Ménigoute – Idriss Aberkane

Le Festival international du film ornithologique de Ménigoute accueille le lundi 30 octobre, à 17 h 30, une conférence exceptionnelle d’Idriss Aberkane, essayiste, consultant et enseignant. Organisée par la Délégation régionale EDF Nouvelle-Aquitaine à l’occasion des 9es Rencontres du cinéma animalier, elle aura pour thème « la biodiversité comme source d’innovation et d’inspiration » et se déroulera dans la salle de projection. Rencontre avec ce conférencier hors normes.

• Votre cursus est riche et votre parcours polyvalent en dépit de votre jeune âge : comment les résumeriez-vous ?
Par un buffet à volonté de connaissances. On apprend mieux la connaissance quand on lui donne une saveur. J’ai cherché le plaisir avant tout, sans chercher la cohérence, en faisant d’abord un doctorat sur la « géopolitique de la connaissance ». Contrairement à un puits de pétrole, quand on partage la connaissance, on la multiplie. Puis j’ai étudié la littérature comparée pour comprendre l’influence des grands textes fondateurs dans les civilisations. Enfin, je me suis penché sur l’ergonomie appliquée au « knowledge du management », c’est-à-dire comment mieux présenter les connaissances au cerveau, qu’il s’agisse d’individus ou de collectivités. Une sorte de gastronomie de la connaissance !

• En tant que conférencier, vous convoquez de multiples disciplines : quels sont vos points forts en matière d’érudition ?
Le point fort, c’est ce que l’on garde en tête. Je suis à la fois formateur dans des entreprises et conférencier. La conférence qu’on me demande le plus porte sur le biomimétisme, probablement parce que l’esprit profond du XXIe siècle nécessite une réconciliation avec la nature. La connaissance vaut désormais plus cher que le pétrole — Facebook coûte plus cher que Total. Or, la nature est la plus grande source de connaissances.

• Votre intervention à Ménigoute portera sur deux de vos sujets phares : le biomimétisme et l’économie de la connaissance : le pitch ?
Celui qui s’attend au pire n’est jamais déçu comme dirait un proverbe chinois et il ne faut pas avoir peur des termes ! Le sujet est le suivant : depuis 250 ans, on oppose nature et emploi. Soixante-dix pour cent de la population mondiale vit en ville, mais ça n’est pas une fatalité. La connaissance crée plus de prospérité que les matières premières, en témoigne ce petit pays qu’est la Corée du Sud, qui exporte deux fois plus que la Russie. La nature est le plus gros gisement de connaissances. Il faut apprendre à l’exploiter autrement. Et les puissances émergentes que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud seront les plus difficiles à convaincre.

• Vous définissez la neuro-ergonomie comme une manière de « mieux attraper la connaissance avec son cerveau ». Pouvez-vous nous citer quelques exemples ?
Il y en beaucoup dans l’Antiquité puis à la Renaissance. Cicéron, par exemple, retenait grâce à la technique des « palais de la mémoire », qui consiste à spatialiser ce que l’on doit retenir dans des pièces virtuelles. C’est indiscernable de l’ergonomie physique : quand on fait de la manutention, on veille à sa posture pour ne pas se faire mal au dos. Dans les entrepôts de la connaissance, on peut se tordre l’esprit de la même manière. Mais il est difficile d’appliquer au cerveau une « technique d’Alexander » faute de miroir de l’esprit… On peut avoir recours au multicanal grâce à des expériences multisensorielles. Aristote enseignait dans un jardin ! Notre enseignement actuel, qui s’apparente en effet à de la nourriture industrielle, doit être remis en question : mangez une tomate bio et l’expérience sera différente.

• Selon votre conception de la « neuro-sagesse », une civilisation qui produit beaucoup de savoirs sans sagesse est vouée à l’autodestruction. Peut-on l’appliquer à la crise écologique que l’on traverse ?
C’est en effet l’histoire du XXe siècle, où l’on a accumulé des savoirs pendant cent ans. On a les neurosciences, mais pas la neuro-sagesse. Notre attitude vis-à-vis de la nature n’est pas sage. D’ailleurs, dans une société de prêt-à-porter, de prêt-à-tout, la sagesse a-t-elle encore sa place ?

• L’élection du président Trump ne montre-t-elle pas qu’on est loin de la « noopolitique » que vous défendez, à savoir « faire régner le savoir sur le pouvoir » ?
Depuis les années 1970, les présidents américains se succèdent en une oscillation permanente entre maîtrise des ressources et connaissance. Il y a eu Carter, qui a mis des panneaux solaires sur la Maison-Blanche en cherchant à fédérer sans guerre autour de la crise énergétique. Puis Reagan et les guerres au Moyen-Orient, puis Al Gore et Clinton qui étaient de nouveau dans la noopolitique, suivis de Bush, Obama, puis Trump… Espérons que l’on se concentre de nouveau sur la connaissance.

• Vivons-nous réellement une seconde Renaissance avec l’émergence d’un rapport nouveau entre technologie et nature ?
Oui ! Mais on voit plus les menaces que les opportunités, ce qui est naturel dans un contexte de révolution. C’est « le principe de la vie et du dîner » : un lapin poursuivi par un renard a plus de chances de s’en sortir, car il en va de sa vie, alors que le renard ne perd qu’un repas ! Les hommes de la Renaissance voyaient plus de morts dans les batailles que les bénéfices de leur époque, perceptibles avec du recul. Nous sommes la première famille de générations qui pourra faire une Renaissance lucide, à la manière d’un rêve éveillé. Mais comme à la Renaissance, nous nous heurtons à un pouvoir scolastique qui résiste au croisement des savoirs interdisciplinaires. Pourtant, il résulte du croisement de certains savoirs une « vigueur hybride » : ce fut le cas quand Steve Jobs convoqua le design dans l’informatique, par exemple. Il ne faut donc pas hésiter à rapprocher des disciplines éloignées pour faire avancer la connaissance, en particulier pour les savoirs technologiques.

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